vendredi 8 novembre 2013

La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman


La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman

La fabrication du consentement, De la propagande médiatique en démocratie, pour son titre complet, est originellement paru en 1988, mais a été revu et actualisé en 2002. Concrètement, cela se traduit par des mises a jour intégrées dans le texte, et aussi par des "compléments 2002" situés en fin de chapitres. Bref, ce livre propose au lecteur un modèle de propagande, qui vise à expliquer comment les principaux médias "fabriquent le consentement", de nombreux exemples à l'appui. L'organisation du livre est logique: tout d'abord, le modèle de propagande nous est présenté théoriquement sur une centaine de pages, puis vient la confrontation du modèle avec la réalité historique sur 500 pages.

Le modèle de propagande est basé sur cinq filtres que l'information doit traverser avant d’être jugée digne d’intérêt. Le premier filtre, c'est l'orientation lucrative des médias. Pour la plupart possédés par un nombre très restreint de grosses corporations, les médias servent ainsi indirectement des intérêts bien précis. Pour continuer dans le sens de l'orientation lucrative, le second filtre est celui de la publicité. Outre le fait que les médias sont ainsi encore plus vulnérables aux influences des puissances économiques qui peuvent les priver de leur principale source de revenu, cette focalisation sur la publicité contribue à "baisser le niveau". Une publicité pour McDonalds à plus d’intérêt à se trouver au milieu d'un épisode de Koh Lanta que d'un documentaire de deux heures sur le monopole des chaines de restauration rapide, ses conséquences sur les habitudes alimentaires de la population ou encore sur l'emploi des jeunes. Troisième filtre, les sources de l'information. La focalisation se fait sur l'information facile : people, sport, faits divers et communiqués officiels. Il faut faire de l'argent et économiser sur les couts, alors évidemment, moins on va chercher loin, plus l'on fait d'économies. De plus, les sources divergentes seront généralement considérées comme non fiables, alors qu'un communiqué officiel ne générera guère de vérification avant mise en forme et publication. Quatrième filtre, contre-feux et autres moyens de pression. Les informations qui déplaisent aux sources de pouvoir ne peuvent manquer de générer des protestations, menaces judiciaires et autres pressions. Enfin vient l'anticommunisme, aujourd'hui un peu dépassé, il pourrait être remplacé par la notion de pro-capitalisme, ou les autres orientations idéologiques qui semblent aller de soi.

Pour ce qui concerne l'application du modèle de propagande aux faits historiques, le ton change un peu, on a presque l'impression de lire un livre d'histoire, et ce n'est pas pour me déplaire. Il faut en effet exposer les faits avant d'analyser la représentation que les médias en ont fait. Les auteurs se pencheront sur divers massacres ayant eu lieu dans des pays clients ou non des États-Unis, et sur la différence de traitement qui en découle. Puis, dans ces mêmes pays (Salvador, Guatemala, Nicaragua), ils analysent la façon dont sont traitées les élections plus ou moins démocratiques qui y ont lieu. Dans ces deux cas, c'est l'occasion de constater que le point de vue (ou l'absence de point de vue) des médias correspond d'une façon remarquable à une vision de monde qui déforme voir occulte la réalité dans l’intérêt de la politique étrangère Américaine. Vient ensuite le "complot de la filière Bulgare", une interprétation de la tentative d'assassinat contre Jean Paul II qui bien que ne reposant sur rien, occupe l'attention des médias car elle sert à discréditer les ennemis de l'Amérique. On termine avec un gros morceau : les guerres d'Indochine. Le Vietnam, puis le Laos et le Cambodge. Il est vraiment impressionnant de constater à quel point les États-Unis, se comportant en envahisseurs et massacrant des millions de civils, parviennent à se faire passer pour des défenseurs de la liberté. Et quand dans les médias on trouve des avis divergents, ils concernent la stratégie à adopter et le gâchis de ressources et de vies américaines, mais ne remettent pas en cause les bienfondés idéologiques et moraux de ces opérations. Opérations qui par ailleurs sont généralement tout simplement occultées.

La fabrication du consentement est un livre passionnant et éclairant. Outre sa grille de lecture et d'analyse des médias américains (qui peut facilement être adaptée aux gros médias internationaux en général), son intérêt vient aussi de son aspect historique. Les différents événements évoqués sont longuement décortiqués, et la période des guerres d'Indochine est particulièrement intéressante et édifiante. Et pas de souci à se faire sur l'actualité des propos tenus en 1988 et 2002, l'Amérique d'aujourd'hui a sans surprise continué dans le sens décrit ici.

Plutôt que mon avis assez maladroit, mieux vaut lire l'introduction du livre.

600 pages + 70 pages de notes/index, 1988, revu et actualisé en 2002, Agone

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