Deuxième lecture de Ted Chiang, après le recueil Expiration, que j'ai trouvé globalement supérieur, grâce à deux nouvelles très bonnes, même si là je non plus je n'avais pas réussi à aller jusqu'au bout. Dans La tour de Babylone, rien de vraiment excellent. Ted Chiang est très bon pour trouver des idées, moins pour les transformer en narration convaincante.
La tour de Babylone (4/5)
L'histoire de la construction de la tour de Babylone et de son ascension par des mineurs recrutés pour creuser un tunnel dans... la voute céleste. Au diable la physique, nous sommes ici dans un modèle géocentriste invraisemblable, comme si les croyances antiques s'étaient révélées vraies. L'ascension de la tour est passionnante, on trépigne de découvrir cet univers impossible, les lois qui le régissent et ce qui se cache au bout du voyage. Dommage que la fin soit si décevante, c'est une pirouette familière et peu chargée de sens. C'est le même twist que La horde du contrevent par exemple.
Comprends (3,5/5)
Un thème classique de la SF : le développement de l'intelligence individuelle jusqu'à un niveau surhumain. Ce n'est pas mal, plaisant à suivre, on se demande jusqu'où va aller cette course en avant de l'intellect. Le final est une confrontation de deux de ces intellects surhumains. La tentative pour décrire des procédés mentaux inédits, sans être complètement convaincante, est plutôt réussie.
Division par zéro (2/5)
Une mathématicienne découvre la preuve de l'incohérence de l'arithmétique et sa vie intime est bouleversée par cette destruction de sa vie intellectuelle. Le mélodrame interpersonnel n'est guère haletant et la construction non linéaire de la nouvelle, parsemée de paragraphes qui effleurent des questions mathématiques, ressemble à une tentative ratée de complexifier artificiellement une trame simple.
L'histoire de ta vie (2/5)
La nouvelle adaptée au cinéma par Denis Villeneuve sous le titre Arrival (Premier Contact). Je n'ai pas plus aimé que le film, j'ai fini par lire en diagonale. Les aliens arrivent sur Terre, ils sont complètement passifs et ne prennent absolument aucune initiative pendant tout le récit. Il s'avère qu'ils ont un mode de conscience simultanée à l'inverse de la conscience séquentielle humaine. La narratrice s'approprie ce mode de conscience et, révélation, tous les passages très chiants sur sa vie de famille se situent en fait dans le futur. Connaissant sa vie dans sa totalité, de façon donc simultanée, elle "accepte" de s'engager dans sa vie déjà connue, le libre arbitre disparaissant en perspective simultanée. Le propos sur le rapport à la temporalité et au libre arbitre ne m'a semblé ni intéressant ni cohérent et les aliens sont totalement unidimensionnels et peu crédibles dans leur passivité. Comment des êtres aussi passifs ont-ils pu évoluer ? Comment se passe leur vie en perspective simultanée ? Greg Egan (encore lui) a exploré le même sujet avec bien plus de brio dans Lumière des évènements.
Soixante-douze lettres (3/5)
Une autre nouvelle qui imagine un monde fonctionnant selon des lois différentes s'inspirant des superstitions du passé, ça fait penser à Omphalos du même auteur, mais en moins bien. J'ai apprécié l'idée que le sperme serait constitué non pas de spermatozoïdes, mais d'homoncules complètement préformés. Les hommes fourniraient ainsi la forme et les femmes le principe vital. De plus, les homoncules eux-mêmes contiendraient préformés dans leur petits testicules les homoncules du futur, et ce jusqu'à l'infini. Ou pas, puisque justement il est découvert qu'il ne reste plus que quelques générations possédant des testicules plein d'homoncules. Ce point de départ est très fun, mais hélas la narration n'en fait pas grand-chose. Il est essentiellement question de la tradition kabbalistique et des mots de pouvoir qui forment la base de la technologie de ce monde : les objets peuvent être animés par... les mots ? C'est tout un domaine de recherche, mais ce n'est aucunement détaillé ou développé. Le récit est long, très plat narrativement, et l'impression de tourner en rond est exacerbée par le flou concernant le fonctionnement de ce principe qui relève de la magie. Il n'y pas non plus de conclusion satisfaisante.
L'évolution de la science humaine (2/5)
Les humains sont dépassés par la science devenue incompréhensible des métahumains. J'apprécie l'idée mais elle n'est qu'à peine esquissée le temps de 4 pages.
L'enfer, quand Dieu n'est pas présent (2/5)
Choix de traduction étonnant pour le titre, sachant que la VO est Hell is the Absence of God (L'enfer est l'absence de Dieu, ou L'enfer, c'est l'absence de Dieu). Un point de départ prometteur et encore une fois proche d'Omphalos : Dieu existe, les anges existent, et quand ceux-ci descendent faire un tour sur Terre, ça fait boum, il y a des miracles et des guérisons, mais aussi plein de morts. La narration qui s'ensuit est en revanche particulièrement soporifique, j'ai lu en diagonale. Impossible de m'intéresser aux états d'esprit de ces quelques personnages fades qui cherchent leur place par rapport à Dieu.
Aimer ce que l'on voit : un documentaire (pas fini/5)
Une technologie facile à appliquer permet de désactiver la partie du cerveau qui perçoit la perception innée de la beauté, c'est-à-dire l'essentiel de ce qu'on considère la beauté, car celle-ci est un filtre biologique pour choisir un partenaire sexuel fertile et compatible. Bon point de départ, mais encore une fois ce qu'en fait Ted Chiang est soporifique. On comprend très rapidement l'idée, il reste ensuite 50 pages qui tournent en rond et racontent des banalités avec une écriture médiocre.