dimanche 7 décembre 2025

Moral Ambition - Rutger Bregman

 Moral Ambition - Rutger Bregman

Il serait très facile de faire le cynique face au dernier bouquin de Rutger Bregman, Moral Ambition. Après tout, l'auteur de Utopia for Realists et Human Kind est connu pour ses ouvrages qu'on pourrait qualifier de bien pensants, naïfs, etc. J'ai moi-même pu les trouver dignes d'intérêt, mais frustrants.

Moral Ambition n'échappe pas à ses écueils. Bregman sélectionne tout un tas d'anecdotes, de personnages historiques, et finalement passe beaucoup plus de temps à raconter des histoires (certes édifiantes) qu'à construire une perspective cohérente et argumentée. Là où ça fonctionne, selon moi, c'est que le message est le suivant : le monde est façonné par une minorité agissante. J'approuve abondamment. Tout le livre est justement une invitation à faire partie de cette minorité agissante.

Certes, la forme est parfois un peu confuse, maladroite, convenue, mais j'apprécie cette fusion entre idéalisme systémique (perspective "de gauche") et nécessité de prise de responsabilité individuelle (perspective "de droite"). Qu'on me pardonne ces extrêmes simplifications.

Il me semble que l'immense majorité des livres contemporains et accessibles qui font leur beurre sur la responsabilité individuelle ont une optique individualiste, de développement personnel, de quête du succès économique, etc. Or, il me semble extrêmement pertinent de se pencher sur la responsabilité individuelle envers le bien commun, l'amélioration du sort de toute l'humanité. « There's no law of nature ensuring everything turns out alright. It's up to us. » Est-ce que c'est l'évidence même ? Peut-être. Est-ce que la plupart des gens mettent en pratique cette idée ? Absolument pas.

Donc, je ne serai pas cynique face à Moral Ambition.

Ci-dessous quelques notes. 

J'ai beaucoup aimé l'intro, qui évoque Mathieu Ricard, le bouddhiste français qui a publié quelques niaiseries qui se vendent bien. Certes, le repos, la méditation, la réflexion, etc., sont importants pour une existence saine et équilibrée. Mais, en un sens, quel acte plus égoïste que de passer 60000 heures de sa vie en méditation, à se façonner un nirvana personnel ? Ce n'est pas un jugement moral catégorique de ma part, mais je trouve que c'est une question pertinente. Bregman évoque en conclusion que Mathieu Ricard, dans une seconde partie de sa vie, a fait face à ce problème, et s'est consacré à des causes pratiques.

Bregman évoque l'altruisme efficace, et j'ai reconnu mes propres questionnements dans ses réflexions.

Une idée importante : comment faire passer autrui à l'action ? La meilleure façon est de demander. D'utiliser la simple puissance des interactions humaines pour faire bouger la fenêtre d'Overton.

Biais à éviter pour que l'idéal passe vraiment dans la réalité :

  1. L'illusion de la conscience. C'est bien de savoir, mais ce n'est que par l'action que les choses changent.
  2. L'illusion des bonnes intentions. Non, les bonnes intentions ne signifient pas nécessairement bonnes conséquences ou conséquences significatives. La plupart des initiatives ont une conséquence quasi-nulle voire négative.
  3. L'illusion des bonnes raisons. Pur conséquentialisme : peu importent les raisons de l'action tant que le résultat est là. Exemple : faire interdire l'achat d'esclaves en Angleterre en informant sur l'horreur de la vie et le taux de mortalité des marins anglais qui font tourner la traite. Là, ça touche une corde sensible chez les gentlemen influents.
  4. L'illusion de la pureté. Toute coalition à succès est un pacte entre factions qui sont en désaccord sur bon nombre de choses. Par exemple : la façon dont l'intersectionnalité aliène beaucoup d'alliés potentiels à la gauche contemporaine.
  5. L'illusion de la synergie. En gros, résultats concrets > résultats parfaits.
  6. L'illusion de l'inévitabilité. « History doesn't do things; people do things. »

Point capital : les innovations scientifiques ont sauvé bien plus de vies que tous les saints du monde. Exemple parmi tant d'autres : le vaccin contre la polio.

L'histoire de la moralité pourrait être une histoire de l'élargissement du champ de l'empathie. 

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