vendredi 28 mars 2025

Retour d'expérience sur la greffe anglaise au galop, en vidéo

Hop, dans cette petite vidéo je partage mon expérience avec la greffe anglaise au galop. Je la recommande surtout pour les pommiers, mais elle peut fonctionner avec d'autres espèces.

Lien direct vers la vidéo sur youtube.

lundi 24 mars 2025

Invisible Planets - 13 nouvelles de SF chinoise sélectionnées et traduites par Ken Liu

Invisible Planets -  13 nouvelles de SF chinoise sélectionnées et traduites par Ken Liu

L'introduction de Ken Liu est brève et pertinente. Elle rappelle que l'occidental moyen a une forte tendance à surinterpréter la SF chinoise comme étant nécessairement subversive, ou critique d'un gouvernement non démocratique, etc. Selon Ken Liu, il faut faire attention à ne pas tomber dans ce piège. J'aurais aimé qu'il développe. Il se trouve d'ailleurs que les deux meilleures nouvelles de ce recueil (à part celles de Liu Cixin) sont des dystopies. Quant à celles de Liu Cixin, elles sont excellentes, mais pas originales en anglais, ce qui est décevant.

        CHEN QUIFAN

The year of the rat (4/5) Une nouvelle extrêmement efficace et plaisante sur le plan narratif, mais je ne suis pas certain d'avoir bien saisi le propos. Des étudiants suréduqués mais incapables de trouver un emploi dans une Chine qui ne sait que faire d'eux se portent volontaires pour rejoindre la Rodent-Control Force, la force de contrôle des rongeurs, milice qui chasse et massacre les néorats, de bizarres et artificiels rats géants un peu trop envahissants. On suit sans se forcer ces jeunes gens plonger dans l'horreur, mélange condensé d'Apocalypse Now et Battle Royal : le danger est souvent plus humain que rongeur. Les néorats semblent développer une culture, utiliser des armes chimiques, mais finalement au diable ces étrangetés, toute cette histoire de néorats s'avère n'avoir été qu'un vaste jeu de realpolitik. La fin ne parvient pas à rendre tangibles les enjeux effleurés.

The fish of Qiufan (3,5/5) Un employé de bureau en burnout est envoyé prendre des vacances forcées à Qiufan, une ville au riche héritage mais récemment privatisée et complètement artificialisée. Au fil de son séjour, il réalise cette artificialité : tout ce qui l’entoure n'est qu'esbroufe, mensonges et manipulations au service des mégacorporations qui cherchent à optimiser à l'extrême la productivité de leurs employés. Cette optimisation va jusqu'à expérimenter sur leur perception du temps. Cet élément de manipulation temporelle est amené assez artificiellement, mais j'apprécie les thèmes explorés et la narration est encore une fois plaisante.

The flower of Shazui (2,5/5) Toujours très proprement écrit, et pas sans bonnes idées. On est à Shenzhen, et c'est l'occasion d'un peu d'histoire bienvenue sur la zone économique spéciale qui a forgé le destin de la ville, avec en prime une touche d'espionnage industriel. Dommage que, bizarrement, au lieu de se concentrer sur ces éléments fertiles, la nouvelle traite essentiellement de sujets glauques (pauvreté, prostitution, viol, violence) sans offrit la moindre résolution narrativement satisfaisante. C'est donc vainement glauque.

        XIA JIA

A hundred ghosts parade tonight (3/5) Dans une zone touristique aujourd'hui désaffectée et oubliée, des fantômes artificiels trainent leur pénible et vaine existence. Le narrateur est un enfant recueilli par les fantômes, à moins qu'il ne soit lui même artificiel. Le ton se veut lent, intime, touchant, mélancolique, et je suppose que c'est plutôt réussi, mais ça ne me touche pas vraiment.

Tongtong's summer (2,5/5) L'été d'une enfant qui voit son vieux grand-père en fin de vie revenir à la maison. Divers progrès techniques vont l'aider et lui offrir l'opportunité de potentiellement changer le quotidien de tous les vieux : un robot qui peut servir à s'incarner à distance, pour le lien social, le soin, etc. L'idée est assez bien traitée mais guère originale. Le focus de la nouvelle n'est pas tant sur cet aspect légèrement SF que sur l'humain, la perte du grand-père, la mort d'un proche. Pareil, pas forcément mauvais, mais moins unique que la précédente et ça ne me touche guère.

Night journey of the dragon-horse (1/5) Dans un vague futur post-apo, le dragon mécanique de Nantes (oui, celui des Machines de l'Ile) erre vainement et papote avec une chauve-souris. Il ne se passe strictement rien et je ne comprends pas l'inclusion de ce texte soporifique.

        MA BOYONG

The city of silence (5/5) De loin la meilleure nouvelle jusqu'à présent. C'est une dystopie classique, presque formulique (comme souvent avec ce genre littéraire), mais bien menée et riche thématiquement. Marchant dans les pas de 1984 en particulier, il y est question de la destruction progressive et finalement totale du langage. Si Orwell avait eu connaissance d'internet, comment aurait-il modifié sa fiction en conséquence ? Ici, l'auteur imagine le web soumis à la même vision totalitaire que celle développée dans 1984. Comme il est beaucoup plus facile de contrôler le langage via des serveurs centralisés et des algorithmes que dans la vie physique, les « autorités appropriées » poussent les citoyens à transférer tout ce qui fait la vie du physique à l'internet. De plus, les progrès techniques permettent petit à petit de contrôler la parole dans le réel aussi, avec l'aide des algorithmes. Dans la course à l'armement entre la censure et les jeux de langage pour la contourner, la censure gagne par toujours plus d'écrasement. Narrativement, quand notre protagoniste trouve une parenthèse libertaire à travers un « club de parole », il va de soi que celui-ci sera victime du talon de fer. La finalité est le silence, et bien sûr en conséquence le silence de l'esprit, car la principale leçon de 1984 est que la parole, le vocabulaire, la syntaxe, créent la pensée.

Dans la petite intro à cette nouvelle, Ken Liu mentionne que dans le texte original, le récit se passait à New York (entre autres auto-censures) pour contourner la censure chinoise. Puis, littéralement trois lignes plus tard, il dit qu'il ne faut pas prendre ce texte pour une « satire » (pourquoi satire ?) du gouvernement chinois. Soit, mais j'aurais aimé qu'il développe cette question.

        HAO JINGFANG

Invisible planets (3/5)  Je suis partagé. Ce n'est pas une nouvelle, il s'agit en fait de plusieurs micro-fictions rassemblées par leur thème : la brève description de planètes, mais surtout de la culture et de la biologie de leurs habitants. Cette succession est frustrante, on passe si rapidement d'une planète à l'autre qu'il est difficile de s'intéresser à chacune. De plus, la méta-narration qui tente de relier les micro-fictions entre elles est clairement artificielle et superflue. Ceci dit, pris chacun à part, ces textes sont très bons, inventifs et frappants. Mention spéciale à la planète larmarkienne, où chaque individu voit son corps changer en fonction de ses actes répétés, mise en opposition avec une planète darwinienne, mais pas un darwinisme familier.

Folding Beijing (5/5) Tout comme The city of silence, il s'agit d'une dystopie parfaitement classique mais fort bien exécutée. Cette fois, il n'est pas tant question d'extrême oppression que d'inégalités sociales : majorité maintenue dans la misère pendant qu'une minorité d'élites vit fort bien. Comme souvent, cette inégalité est mise en avant à travers une organisation sociale hyperbolique, mais ici plus surréaliste que science-fictive : Beijing est comme installé sur une plaque rotatoire qui se retourne à intervalles réguliers, avec immeubles qui se plient et se déplient, de façon à ce que les trois zones de la ville (deux sur un coté, les élites ayant l'autre côté en entier) se partagent le temps, une partie de la population étant maintenue en sommeil artificiel quand c'est leur tout d'être repliés. C'est complètement invraisemblable mais très marrant, et notre protagoniste, bien sûr, doit se frayer un chemin de la troisième zone vers la seconde puis vers la première. Cette organisation est justifiée par la nécessité économique de maintenir de l'emploi face à une automatisation grandissante, la zone 3 (la plus peuplée) faisant essentiellement du tri des déchets, tri qui pourrait être automatisé si la volonté politique était là. Le fond classique est donc recyclé avec efficacité, et c'est avec plaisir qu'on suit le narrateur à la découverte de ce Beijing pliable.

        TANG FEI

Call girl (1/5) Une fille de 15 ans propose ses services à des vieux riches. Pas des services sexuels, non : elle leur offre des... hallucinations bizarres ? des fantômes de chiens ? Incompréhensible.

        CHENG JINGBO

Grave of the fireflies (pas fini/5) J'ai eu peur quand j'ai lu l'intro de Ken Liu : les histoires de l'autrice « feature multilayered, dreamlike images connected by the logic of metaphor, dense syntax, and evocative, allusive expressions. » Je traduis ça par : charabia volontairement obscur pour donner une vaine illusion de poésie et de profondeur.

        LIU CIXIN

The circle (5/5 avec félicitations du jury, mais...) ...c'est la réécriture d'un chapitre du Problème à Trois Corps. Dans la Chine médiévale, un savant de génie utilise l'ambition démesurée d'un roi pour obtenir trois millions de soldats et fabriquer une machine à calculer avec des humains comme transistors. Mélange de concept captivant rendu aisé à visualiser et de narration efficace qui transcende le concept en l'entremêlant avec les tragédies humaines de l'ambition, la démesure, la trahison, la cruauté, la sincère quête du savoir... Excellent, mais ça fait que les deux textes de Liu Cixin du recueil ne sont pas originaux en anglais. Je comprends la démarche éditoriale (Liu Cixin fait vendre —  à juste titre), mais c'est c'est moyennement honnête.

Taking care of God (5/5 avec félicitations du jury) Nouvelle déjà lue dans le recueil The wandering Earth. Je crois que je l'ai encore plus appréciée cette fois, notamment parce que j'ai pu percevoir le lien avec la théorie de la Forêt Sombre développée dans la trilogie du Problème à Trois Corps. Elle n'est pas explicitée ici mais les révélations finales prennent d'autant plus d'ampleur quand on l'a en tête. Encore une fois, Liu Cixin parvient brillamment à marier gigantesques concepts et perspective empathique.

vendredi 21 mars 2025

Biologie de Campbell #19 - Les virus

Biologie de Campbell #19 - Les virus

Note : Les virus se situeraient à l'extrême frontière du vivant. Cependant, il me semble qu'ils incarnent, en un sens, l'essence même du vivant ; ils en sont les représentants les plus épurés. Ce sont de simples machines constituées d'ADN (ou d'ARN) et d'une coque protectrice — comme nous, humains. Leur "but" est la reproduction de ce matériel génétique — comme nous, humains. Ils existent uniquement car cette capacité à la reproduction du matériel génétique se maintient par mutation aléatoire de ce même matériel génétique — comme nous, humains. La réplication fidèle avec modification aléatoire occasionnelle ; rien d'autre. Un mouvement mécanique qui persiste par sélection naturelle des mouvements capables de se reproduire. Toutes les formes de vie plus élaborées obéissent à la même loi.

Les virus ont une structure beaucoup plus rudimentaire que les cellules eucaryotes ou procaryotes. Ils se réduisent généralement à un minuscule paquet constitué de quelques gènes emballés dans une coque de protéines. Ils sont incapables de se reproduire et d'effectuer des activités métaboliques hors d'une cellule hôte. 

Pour ces raisons, les virus se situent à la frontière de ce qu'on appelle vie.

Le génome des virus contient entre 3 et quelques centaines de gènes, rarement plus d'un millier, ce qui est significativement moins que les bactéries. Il existe des virus à ADN et à ARN. La coque de protéines qui entoure ce génome viral porte le nom de capside. Celle-ci peut avoir plusieurs structures type :

  • Une simple forme de tube, comme pour le virus de la mosaïque du tabac.
  • Une structure icosaédrique (comme un dé à 20 faces) avec une pointe protéique à chaque sommet.
  • Une enveloppe membraneuse hérissée de pointes glyco-protéiques, comme le virus de la grippe (virus à ARN).
  • Les bactériophages, ou phages, sont plus complexes. Ce sont eux qui ont des "pattes" (appareil caudal) attachées à un tube surmonté d'une tête icosaédrique qui contient l'ADN.

LES VIRUS NE PEUVENT SE RÉPLIQUER QUE DANS DES CELLULES HÔTES

Les virus sont des parasites intracellulaires obligatoires : ils ne peuvent se multiplier que dans une cellule hôte.

Chaque virus à un spectre d'hôtes spécifique. Ils reconnaissent leurs cellules hôtes au moyen d'un mécanique "clé et serrure" entre les protéines virales présentes à leur surface et les molécules réceptrices correspondantes situées sur la face externe d'une molécule compatible.

  1. Le virus pénètre dans la cellule / fait pénétrer son ADN dans la cellule
  2. Les enzymes de l'hôte effectuent la réplication du génome viral
  3. Parallèlement, les enzymes de l'hôte effectuent la transcription du génome viral en ARNm viral que les ribosomes de l'hôte utilisent pour synthétiser de nouvelles protéines virales
  4. Les génomes viraux et les protéines de la capside s'assemblent pour former de nouvelles particules virales qui quittent la cellule

Lorsque les nouveaux virus sortent de la cellule hôte, celle-ci est souvent tuée ou du moins endommagée, c'est la cause d'une partie des symptômes.

Ce cycle, évidemment, a de très nombreuses complexités et variantes, qui sont décrites dans les pages suivantes.

Par exemple, chez les phages (qui infectent les bactéries), il existe :

  • Le cycle lytique, processus de réplication virale qui aboutit à la mort de la cellule hôte
  1. Attachement. Le phage adhère à des protéines de surface spécifiques de la bactérie hôte.
  2. Le phage injecte son ADN dans la bactérie et devient donc une coquille vide.
  3. Synthèse des génomes et des protéines du virus, sous la direction de l'ADN du phage et en utilisant les enzymes de la cellule bactérienne. 
  4. Autoassemblage. Tête, queue et fibres caudales forment de nouveaux phages.
  5. Libération. Boum ! Le phage commande la production d'une enzyme qui digère la paroi de la bactérie qui éclate en libérant des dizaines ou centaines de particules phagiques.
  • Le cycle lysogénique, qui permet aux phages de se "cacher" dans les cellules et de répliquer le génome viral au fil des divisions cellulaires de la cellule-hôte

Certains virus combinent les deux cycles, passant de l'un à l'autre selon les circonstances.

Certaines bactéries (botulisme, scarlatine...) sont nocives pour les humains surtout parce qu'elles sont infectées par des gènes de phages qui déclenchent chez la bactérie la production de toxines.

En conséquence de tout ça, la sélection naturelle favorise les bactéries qui ont des protéines de surface sur lesquelles aucun phage ne peut se fixer. De plus, une fois qu'il a pénétré la bactérie, l'ADN du phage peut déclencher un mécanisme de défense et être attaqué par des enzymes de restriction. A l'inverse, la sélection naturelle favorise les phages porteurs de mutations qui leur permettent d'outrepasser ces décences. C'est l'inévitable course à l'armement.

Les virus des animaux peuvent avoir un génome ou une enveloppe à base d'ARN.

Certains des virus parasites d'animaux ont une enveloppe virale (une membrane externe recouvrant la capside) qui leur sert à pénétrer dans la cellule hôte. Par exemple, le cycle d'un virus enveloppé à ARN :

  1. Les glicoprotéines (spicules) de l'enveloppe virale se lient aux molécules réceptrices à la surface de la cellule hôte, ce qui favorise la fixation du virus.
  2. La capside et son contenu pénètrent dans la cellule. La digestion de la capside par les enzymes cellulaires libère le génome viral dans le cytoplasme.
  3. Le génome viral sert de matrice pour la synthèse de brins d'ARN complémentaires.
  4. De nouvelles copies de l'ARN du génome viral sont fabriquées à l'aide de brins d'ARN complémentaires.
  5. Les brins d'ARN complémentaires servent également d'ARNm qui est traduit en protéines de la capside et en glycoprotéine de l'enveloppe virale.
  6. Les vésicules transportent les glycoprotéines vers la membrane plasmique de la cellule.
  7. Les capsides s'assemblent autour de chacune des molécules d'ARN constituant le génome viral. 
  8. Chaque nouveau virus sort de la cellule par bourgeonnement ; son enveloppe est formée en partie d'une portion de membrane directement empruntée à la cellule hôte.

En gros, et même quand ces détails varient selon le type de virus, ça reste la même chose : le virus pirate les usines de la cellule hôte pour que celle-ci fabrique et réplique son ADN ou ARN et les protéines constituant son enveloppe.

Dans le cas des rétrovirus, comme VIH (virus de l'immunodéficience humaine) qui cause le sida (syndrome d'immunodéficience acquise), une étape vient s'ajouter : l'ADN synthétisé à partir du génome de l'ARN viral est inséré sous forme de provirus dans l'ADN chromosomique de la cellule hôte.

LES VIRUS ET LES PRIONS SONT DES AGENTS PATHOGÈNES DES ANIMAUX, DES VÉGÉTAUX ET D'AUTRES ORGANISMES

Les dégâts causés par un virus dépendent souvent de la capacité des tissus touchés à se régénérer par division cellulaire. Par exemple, dans le cas d'un rhume, les tissus des voies respiratoires se régénèrent aisément. En revanche, si un virus attaque des cellules nerveuses, celles-ci ne se divisent pas et ne peuvent donc pas se régénérer. De plus, de nombreux symptômes (fièvre, douleur) sont les conséquences des réactions défensives de l'organisme plutôt que du virus lui-même.

On qualifie de nouveaux virus ceux qui semblent faire leur apparition soudainement, comme le VIH dans les années 1980. La principale cause de ces apparitions est la mutation de virus existants. Les virus à ARN ont un taux de mutation particulièrement élevé, comme dans le cas des grippes saisonnières. Il peut aussi s'agir d'une "mondialisation" de virus auparavant isolés. Il est aussi possible que les virus soient transférés depuis d'autres espèces animales. 

Plus de 2000 types de maladies virales connues s'attaquent aux végétaux. La majorité de ces virus possèdent un génome d'ARN. Il existe deux types de transmission des virus pour les plantes :

  • La transmission horizontale : infection par une source extérieure. Le virus doit traverser l'épiderme de la plante, ce qui est favorisé quand l'épiderme est fragilisé par les éléments, une mauvaise santé de la plante ou des animaux herbivore. Les insectes, comme les pucerons, agissent comme des vecteurs de transmission.
  • La transmission verticale : transmission du virus d'une plante à sa descendance.

Les prions ne sont pas des virus, ce sont des protéines infectieuses qui semblent causer des maladies dégénératives du cerveau chez diverses espèces animales, dont la "maladie de la vache folle". Les prions posent deux problèmes majeurs :

  • Ils mettent des années avant d'avoir de l'effet sur l'organisme, ce qui rend très difficile le contrôle des sources d'infection.
  • Ils sont presque indestructibles et aucun remède n'est connu.
Un prion serait une protéine normale de cerveau mal configurée qui a la capacité de transformer les protéines saines similaires en prions. Des chaines de prions s'agrègent, comme en réaction en chaine, et interfèrent avec les fonctions cellulaires normales.

mardi 18 mars 2025

En terre étrangère - Robert Heinlein

En terre étrangère - Robert Heinlein

Ayant beaucoup apprécié The Moon is a Harsh Mistress (Révolte sur la Lune) de Robert Heinlein, j'étais curieux de me lancer dans Stranger in a Strange Land (En terre étrangère), publié 5 ans plus tôt, en 1961. J'espérais y trouver ma dose d'idéologie-fiction. Hélas, sans qualifier le roman de mauvais, je n'ai pas pu en lire plus d'un tiers avant de décrocher.

La version publiée en 1961 avait été expurgée sous l'influence des éditeurs, et je crois que la version publiée ici est apparue plus tard : c'est une version complète, celle qui semble dominer éditorialement ces temps-ci. Je suis persuadée qu'il vaut mieux lire la version abrégée, parce que franchement, que c'est long et chiant. Les personnages papotent à l'infini, vainement ; ils tournent en rond, sans dire grand-chose qui fasse avancer la narration, sans apporter d'idées nouvelles.

Mike, humain ayant été élevé sur Mars par des martiens aussi différents des humains qu'il est possible de l'être, offre à priori une perspective de table rase totale sur la culture humaine et les comportements humains. Dans les faits, c'est très étonnant : je m'attendais à ce que sa perspective soit beaucoup plus mise en avant. Or, ce sont les autres personnages qui prennent le dessus et Mike, du moins dans le premier tiers du roman, n'a finalement strictement rien d'intéressant à apporter. Il n'émet aucune opinion sur le monde humain qu'il découvre. D'ailleurs, depuis qu'il est arrivé sur Terre, et pendant quasiment 300 pages, Mike se semble rien apprendre de la culture humaine. Et c'est sans compter le voyage depuis Mars, où Mike a passé beaucoup de temps (combien de temps ? ce c'est pas clair) avec des humains. Encore plus bizarre, les humains bienveillants qui le chaperonnent n'ont même pas l'idée de lui dire des choses comme "non non, le cannibalisme ça ne se fait pas trop par ici" et au contraire font du "oui oui c'est bien Mike, on mangera untel ensemble".

En somme, les prémices du roman ne semblent aucunement tenues ou explorées pendant les presque 300 pages lues (ou survolées), et si je ne doute pas que ça se développera par la suite, le rythme est si agonisant que ma bonne volonté s'est évanouie. Dommage : je ne suis pas en mesure de commenter tout le bizarre discours sur une certaine libération sexuelle qui se cache plus loin.

samedi 15 mars 2025

Biologie de Campbell #18 - La régulation de l'expression génétique

Biologie de Campbell #18 - La régulation de l'expression génétique

LES BACTÉRIES PEUVENT S'ADAPTER AUX FLUCTUATIONS DE LEUR MILIEU EN RÉGULANT LA TRANSCRIPTION

Afin d'économiser les ressources, l'évolution a favorisé les bactéries qui n'expriment que les gènes dont les produits lui sont utiles.

Par exemple, si le milieu contient assez d'une molécule nécessaire à une bactérie, celle-ci pourra arrêter de produire les enzymes qui l'aident à produire cette molécule elle-même ; cette inhibition a lieu au niveau de la transcription, la synthèse de l'ARNm codant pour ces enzymes.

Les fluctuations de l'état métabolique de la cellule activent et désactivent de nombreux gènes du génome bactérien. Ces processus sont détaillés sur plusieurs pages. 

CHEZ LES EUCARYOTES, LA RÉGULATION DE L'EXPRESSION GÉNÉTIQUE S'EXERCE A DE NOMBREUX STADES

Tout comme les organismes unicellulaires, les cellules des organismes multicellulaires doivent continuellement activer et désactiver des gènes en réponse à des stimulus provenant des milieux internes et externes. 

La régulation de l'expression génétique est également essentielle pour la spécialisation des cellules d'un organisme multicellulaire, composé de différents types de cellules. Chaque cellule doit assurer le maintient d'un programme spécifique de son expression génétique dans lequel certains gènes sont exprimés et d'autres ne le sont pas.

Une cellule humaine moyenne n'exprime probablement que 20% environ de ses gènes à la fois, et cette proportion est encore plus faible pour les cellules hautement spécialisées, comme les cellules musculaires ou les cellules nerveuses. Les différences entre les types de cellules ne sont pas dues à la présence de différents gènes, mais plutôt à l'expression génétique différentielle, qui permet à des cellules dont le génome est identique d'exprimer des gènes différents. Il y a bien 8 pages qui détaillent les différents aspects de cette régulation.

Mentionnons que dans le cas de la transcription spécifique aux types de cellules, des amplificateurs et activateurs entrent en jeu. Les amplificateurs sont des parties de l'ADN qui permettent "d'activer" ou non certains gènes : ils exigent la présence d'une combinaison d'activateurs, des éléments présents ensemble seulement dans les cellules pertinentes pour l'activation du gène. Il existe aussi des répresseurs au rôle inverse.

Mentionnons aussi l'épissage différentiel de l'ARN : le transcrit primaire d'un gène peut être épissé de façons différentes, c'est-à-dire qu'un même gène pourra être transcrit sous différentes forme d'ARNm, qui incluent ou non différents exons, et ces différentes formes d'ADN sont traduites en protéines différentes mais apparentées. Ce processus permet d'expliquer en la vaste diversité des protéines humaines synthétisables à partir d'un génome à priori limité.

LE RÔLE IMPORTANT DES ARN NON TRADUITS

Le séquençage du génome a révélé que l'ADN transcrit pour les protéines représente seulement 1,5% du génome humain. Une toute petite partie du génome transcrit aussi pour les ARN. On a longtemps supposé que la majeur partie de l'ADN n'était pas transcrit (je me souviens avoir lu chez Richard Dawkins cette supposition frappante que la majeure partie de l'ADN n'existerait que par sa capacité à se reproduire d'une façon quasi parasitique).

Évidemment, plus on en apprend, plus ça se complexifie. Il semblerait actuellement que 75% du génome humain est transcrit à un moment ou un autre, dans chaque cellule. Une partie importante du génome peut être traduit en ARN non codant, ARNnc, aux rôles variés. L'ARNm est donc loin d'être la seule ouvrière.

Sans rentrer dans les détails, ces très nombreuses micro ARN (miARN) et petits ARN interférents (pARNi) jouent un rôle complexe et capital dans la régulation l'expression génétique.

LES DIFFÉRENTS TYPES DE CELLULES D'UN ORGANISME MULTICELLULAIRE RÉSULTENT D'UN PROGRAMME D'EXPRESSION DIFFÉRENTIELLE 

Au cours du développement embryonnaire, il a la division cellulaire, mais celle-ci doit être régulée pour ne pas produire une masse indifférenciée de cellules. Les cellules subissent en se développant la différenciation cellulaire, processus qui permet leur spécialisation. La morphogenèse est l'ensemble des processus physiologiques déterminant la forme de l'organisme et de ses structures.

Sans rentrer dans les détails, je note deux processus principaux :

  • Les déterminants cytoplasmiques de l'ovule. Dans le cytoplasme de l'ovule se trouvent des molécules codées par les gènes maternels. Ces molécules sont inégalement réparties et déterminent l'expression génétique des cellules de l'embryon au fil de la division cellulaire par simple "influence locale".
  • L'induction par les cellules voisines. En gros, chaque cellule influence l'expression génétique de ses voisines.

Ces processus (et d'autres) mènent à l'accomplissement d'un plan d'organisation corporelle. Il s'agit tout d'abord de déterminer les 3 axes principaux de l'organisme, avant de commencer à "placer" les membres et organes. C'est, encore une fois, l'étude de la drosophile qui a permis de comprendre ces phénomènes.

LE CANCER EST LA CONSÉQUENCE DE MODIFICATIONS GÉNÉTIQUES QUI ALTÈRENT LA RÉGULATION DU CYCLE CELLULAIRE

Les mutations qui altèrent les gènes associés aux facteurs de la croissance peuvent mener au cancer. On appelle oncogènes les gènes cancérogènes ; à l'inverse, les gènes normaux, qui codent pour pour des protéines stimulant une croissance normale et régulée, sont appelés protooncogènes.

Un protoongène peut se transformer en oncogène de 3 façons différentes :

  • Translocation ou transposition : le gène est déplacé vers un nouveau locus (position fixe d'un gène sur un chromosome) et donc soumis à un nouveau promoteur (segment d'ADN qui contrôle l'expression du gène) qui peut mener à l'excès de la protéine qui si bien régulée cause une croissance normale.
  • Amplification génétique : des copies multiples du gène augmentent la quantité de protéines.
  • Mutation ponctuelle d'un élément de contrôle ou du gène lui-même si, de même, plus de protéines sont créées en conséquence ou des protéines hyperactives ou résistantes à la dégradation.

Il existe aussi des gènes suppresseurs de tumeurs, qui codent pour des protéines qui servent à empêcher la croissance cellulaire anarchique. La protéine p53 est fameuse : c'est elle qui répare l'ADN endommagé, ou du moins qui facilite la transcription du gène codant pour une protéine qui inhibe le cycle cellulaire pour que l'ADN endommagé ne se réplique pas. Ensuite, soit l'ADN est réparé, soit la cellule est détruite. Certaines mutations qui troublent ce système peuvent mener au cancer.

Les cancers ont tendance à se développer par accumulation de facteurs, ce qui expliquerait pourquoi l'incidence des cancers augmente avec l'age. Sont détaillés à ce propos les cancers du côlon et du sein. A noter que les virus, dans ces cas spécifiques, peuvent être causes de cancer ; en effet, ils interfèrent avec la régulation génique car ils peuvent insérer leur matériel génique dans l'ADN d'une cellule.

mercredi 12 mars 2025

La vie simple - Samuel Lewis

La vie simple - Samuel Lewis

Ce livre, aux éditons Ulmer, est un condensé des autres livres auto-publiés par Samuel Lewis. On y retrouve beaucoup de dessins similaires, qui souvent détaillent les mêmes choses, mais des dessins refaits pour l'occasion. Donc d'un côté c'est un peu décevant car déjà vu, et d'un autre c'est un nouveau regard bienvenu tant le sujet est captivant et la méthode pour l'explorer (le dessin) plaisante et efficace. Cette fois, on a aussi droit à du texte, rédigé par Gareth Lewis, le père de Samuel, qui vient expliciter et développer le propos, ainsi qu'à quelques belles photos.

L'autonomie, un acte politique

C'est par ce thème que s'ouvre le livre. A propos de la résistance lors de l'occupation nazie : « Selon les anciens, cette résistance s'est bâtie sur le fait qu'ils vivaient de la terre, cultivaient leur potager et leurs céréales, et coupaient leur bois. Ils jouissaient ainsi d'un haut degré d'autonomie qui leur procurait la liberté de faire ce qu'ils croyaient être juste. Vers la fin de la guerre, quand l'état de droit s'est effondré, certaines personnes ne s'étaient pas rendues en ville ni n'avaient fait de courses pendant 6 mois d'affilé. » On peut débattre de cette perspective (par exemple, la liberté viendrait-elle au contraire d'un rapport de force qui nécessite accumulation de puissance ?), mais je la trouve néanmoins pertinente.

De plus, il est question à travers la quête d'autonomie non pas d'un triste renoncement, mais « d'une réaffirmation du droit à un niveau de vie élevé et des produits de haute qualité ». Sans parler des questions d'écologie et de limites globales : « De manière générale, les jardins d'aujourd'hui ne sont plus aussi productifs et utiles qu'autrefois, ils "consomment" davantage qu'ils ne créent de réels bénéfices ». En effet, il est facile d'acheter plus de valeur (machines, carburant, plastique...) qu'on en produit. Il va également sans dire qu'autonomie ne signifie pas autarcie et que lien humain et spécialisation restent capitaux à échelle locale.

Ce que je retiens

Ci-dessous, diverses notes prises pendant la lecture, sans répéter ce que j'ai déjà évoqué dans mon compte-rendu des autres livres de Samuel Lewis.

  • La non-nécessité des amendements d'origine animale. En me rapprochant progressivement de l'agriculture, la découverte de la place de l'animal à la campagne a été une révélation : l'animal exploite des zones spécifiques (incultes, en pente, etc.) ainsi que des ressources souvent peu utiles (les restes pour les poules, l'herbe pour les ruminants, etc.) et produit en échange non seulement nourriture (protéinée) mais aussi du fumier, outil capital pour produire de l'alimentation végétale de façon durable. Ici, cette vision que j'avais développée est (partiellement) remise en question : l'autonomie alimentaire semble être atteinte sans animaux domestiques, une bonne moitié du terrain étant consacrée au foin, qui fait office d'amendement, c'est-à-dire de fumier. Je m'interroge cependant : l'alimentation des Lewis semble être pauvre en gras et protéines. Est-ce que haricots, noisettes et autres graines suffisent ? Sûrement, mais j'aimerais en savoir plus à ce sujet.
  • Les arbres sont la pierre de voute. Ils découpent la campagnes en petits champs gérable à échelle manuelle. Ils apporte fertilité aux champs par leurs feuilles mortes et par la décomposition de leurs racines quand ils sont coupés. Les champs sont travaillés en été, et les arbres en hiver. Les arbres sont la façon la plus efficace de convertir l'énergie solaire en nourriture et en matériaux de base. L'auteur offre la perspective suivante, qui m'a captivée : « Où que l'on soit, il est relativement aisé de se procurer de la nourriture, mais par le passé, si les réserves de combustible s'épuisaient, les villes et les villages devaient être abandonnés. » Ainsi il conseille de planter plus d'arbres à but combustibles qu'à but nourricier. Ceci dit, c'est dans une perspective de forte autonomie, donc de cuisine au bois.
  • Trop de nourriture l'été. C'était un principe clé des climats à saisons marquées : comment convertir l'abondance de l'été/automne en stocks pour l'hiver/printemps ? C'est une invitation à repenser le potager pour qu'il soit productif toute l'année. Je le note ici car, pour me simplifier la vie, j'ai choisi de ne faire que des cultures d'été et de mettre le potager en pause l'hiver, mais j'aimerais réussir à développer un système étalé sur toute l'année adapté à mes conditions : travail déjà prenant à la pépinière, zone de potager trempée en hiver, etc.
  • Habiter un terrain, pas une maison. Si on passe plus de temps en extérieur qu'en intérieur, on n'a pas besoin d'un intérieur aussi complexe, et on peut vivre avec moins d'argent. Sans compter le bien-être que procure le contact permanent avec le végétal et l'animal (sauvage). « En terme de qualité de vie, il vaut mieux avoir un petit terrain et être entouré de voisins jardiniers que de vivre seul sur un grand terrain. »

Je note l'usage de bois dur (cœur de chêne) pour réaliser le coin qui vient s'enfoncer dans le haut d'un manche de hache et caler ainsi la partie métallique.

Je note des précisions sur l'utilisation des fagots, « ressource oubliée de la campagne » : bois à bruler pour chauffage, cuisiner, four à pain, mais aussi bois pour pour réaliser des clôtures, des brise-vent, et bois pour créer des chemins praticables au sol en zones imbibées. D'ailleurs, les tas de bois peuvent être protégées à la chaume.

Et la récolte de sarrasin sur 600m² : 70kg. Encore une fois, est-ce beaucoup ou peu, je ne sais pas, mais élément important de l'autonomie alimentaire à petite échelle, sans aucun doute.

samedi 8 mars 2025

Mission Sarajevo (SAS 109) - Gérard de Villiers

J'avais déjà lu et (étonnamment) apprécié Berlin : Check-Point Charlie (SAS 29) de Gérard de Villiers : pour du roman souvent qualifié de gare, c'était franchement bien écrit et surtout hautement crédible et captivant sur le plan géopolitique et historique. J'avais dû essayer d'en lire au moins un autre (on en trouve aisément dans les boites à livres) mais la recette n'avait pas su me reconquérir.

Je me suis cependant lancé dans Mission Sarajevo (SAS 109) à cause de mon intérêt pour la guerre de Yougoslavie : j'avais lu quelques livres à ce sujet au cours de mes voyages en Europe de l'Est. J'ai eu l'occasion d'arpenter les rues des villes qui sont à l'honneur dans ce récit : Zagreb, Split, Mostar, et bien sûr Sarajevo, qui, quand j'y étais de passage, portait encore en abondance les cicatrices de la guerre. Nous avions également pu deviner les cicatrices culturelles, les tensions ethniques et religieuses couvant toujours dans les Balkans.

La scène d'introduction est excellente, présentant avec efficacité le contexte et la violence effroyable qui peut y régner. La trame qui se développe par la suite est fonctionnelle, mais sans grand intérêt. On y voit notre héro Malko courir à droite et à gauche à Sarajevo, aux trousses d'une douzaine de stingers américains possédés par une milice musulmane sous l'influence des iraniens. C'est surtout l'occasion de découvrir Sarajevo pendant le siège, et sur ce plan, c'est une réussite. Je cède la parole au journaliste Renaud Girard à ce propos :

« Gérard, qui avait été transporté par notre reportage, me contacta dès mon retour à Paris : "Ma prochaine histoire se passera à Sarajevo !". Et il m'emprunta toutes mes cartes d'état-major de la ville et de la région. Son ouvrage, Mission Sarajevo, le numéro 109 de la collection des SAS, demeure un livre de référence sur l'ambiance de la capitale bosniaque au début de son siège. »

Les journalistes et espions entassés à l'hotel Holyday Inn, les dangers de Sniper's Alley, les milices aux allégeances variées, les chefs de guerre improvisés, les haines ethniques, les combines pour arracher des dollars ou des munitions, la « stratégie du pire » des islamistes qui consiste à pourrir la vie de tout le monde car la misère favorise la religiosité, les contre-snipers pour lutter contre les snipers, les forces de l'ONU impuissantes, les longues escortes jusqu'à l'aéroport... Même à propos des multiples femmes qui défilent dans la chambre d'hôtel de Malko : elles s'intéressent moins à lui qu'au fait qu'il a de l'eau chaude, chose rare dans le Sarajevo assiégé, et elles viennent le voir avant tout pour se doucher !

Mon exemplaire a été imprimé en janvier 1993. Sachant que le siège de Sarajevo a commencé en avril 1992, c'est un délai incroyablement faible entre le début d'un évènement historique et la publication d'un roman qui l'évoque d'une façon crédible et renseignée. Un mot rapide sur les femmes dans ce/ces romans : elles sont bien entendu 100% objectifiées et sexualisées, au service du plaisir de Malko (et d'une partie du lectorat), mais en même temps, ce sont des électrons libres qui font ce qui leur chante et ne manquent pas de compétence, presque des modèles de « femmes fortes » selon une certaine perspective moderne.

dimanche 2 mars 2025

Revitaliser les sols - Francis Bucaille

Compte-rendu de lecture du livre Revitaliser les sols de Francis Bucaille publié aussi sur le site de ma pépinière.

C’est un manuel dense et didactique qui parvient à être souvent captivant. L’auteur s’adresse principalement aux grandes cultures, ainsi tout ce qui concerne le diagnostic précis des sols et les détails de la fertilisation m’a moins intéressé que le reste. J’ai particulièrement aprécié les chapitres sur la vie du sol, les micro-organismes, les champignons, les engrais verts et le décalage climactique.

A noter que l’auteur s’efforce de conjuguer préoccupations environnementales (essentiellement par la santé des sols) et productivisme. Il critique activement l’idée que l’agriculture à petite échelle serait intrinsèquement meilleure que celle à grande échelle.

Fertilité du sol et santé des plantes

Les faiblesses et vulnérabilités des plantes sont souvent directement causées par une malnutrition. Les insectes parasites sont activement attirés par les plantes qui émettent des signaux émis par les plantes faibles, déficientes. De plus, les plantes riches en éléments solubles (azotes solubles, sels minéraux…) sont également désirables pour les parasites. En revanche, quand les plantes synthétisent elles-mêmes protéines et sucres complexes (protéosynthèse, glucosynthèse), elles sont moins désirables pour les parasites. Donc une plante qui se débrouille elle-même à partir d’un sain et riche (notamment en oligo-éléments) sera plus résistante qu’une plante déficiente mais aussi qu’une plante biberonnée.

Les engrais de type NPK (azote phosphore potassium) sont loin d’être des engrais « complets ». En effet, les exportations de minéraux par les plantes sont bien plus importantes : les plantes cultivées exportent des sols 25 à 30 éléments différents.

Micro-organismes et humification

La façon dont les matières organismes se transforment ou non en humus stable est encore mal comprise. Ce rendement supposé constant de la transformation en humus stable des matières organiques pour chaque type de matériaux est exprimé de la façon suivante : K1, coefficient isohumique. L’auteur indique qu’il est de 0,15 pour la paille par exemple, mais qu’il dépend fortement des conditions d’humification.

On appelle le coefficient de minéralisation K2, qui est aussi évalué comme une constante, mais qui en réalité n’est pas du tout constant.

Les pratiques agronomiques modernes ont fortement tendance à favoriser la minéralisation (transformation de la matière organique en matière minérale utilisable par les plantes) au détriment de l’humification. C’est pourquoi les taux de matières organiques (MO) dans les sols baissent dangereusement. En effet, les principaux constructeurs d’humus sont les champignons, et ils sont maltraités par ces pratiques agronomiques (fongicides, labours, engrais verts rendus verts au sol), alors que les bactéries, minéralisatrices, sont favorisées.

Les études agronomiques ont tendances à indiquer que les techniques favorisant la minéralisation sont efficaces : en effet, à court terme, la minéralisation est efficace. Mais elle est destructive si elle domine à long terme car elle épuise la MO des sols. De même, tous les « -cides » donnent dans l’immédiat de bons résultats car ils rendent disponibles pour la plante tous les nutriments stockés dans les organismes tués.

On connait les champignons mycorhiziens, mais un petit rappel à leur propos : les mycorhizes développent des hyphes des dizaines de fois plus fins que les racines des plantes, leur capacité d’exploration est donc largement supérieure.

Les champignons saprophytes (qui se nourrissent des matières organiques en décomposition) sont les principaux acteurs de la décomposition de la cellulose et de la lignine. A l’inverse des bactéries, qui sont beaucoup plus petites et adaptées aux conditions extrêmes, les champignons sont plus sensibles aux perturbations. Or, la durée de vie des matériaux d’origine fongique est largement supérieure à celle des matériaux d’origine bactérienne : de quelques mois à plusieurs décennies. De plus, les bactéries consomment bien plus d’azote pour transformer la même quantité de carbone. En somme, les champignons valorisent bien plus efficacement la matière organique dans les sols.

En forêt, on est par exemple dans un système dominé à 40% par les bactéries et 60% par les champignons. En système cultivé, le ratio idéal serait de 50/50.

Favoriser la décomposition fongique

Les champignons saprophytes et dévoreurs de lignine fonctionnent au mieux quand il y a peu de sucres et d’azote et beaucoup d’oxygène. Donc, il leur faut des matières organiques matures laissées en surface. Pas de problème de faim d’azote quand la matière organique est en surface.

Les substances antifongiques naturelles (terpènes, résines, tanins, polyphénols) limitent leur efficacité, mais c’est parfaitement normal, il faut simplement manier les bois riches en ces substances en connaissance de cause. Évidemment, il existe aussi de nombreux antifongiques de synthèse.

L’auteur évoque la compétition entre flore d’assimilation (qui se développent par exemple dans la rhizosphère) et flore de décomposition. Cette dernière est plus compétitive et a tendance à pénaliser l’assimilation. Par exemple, en grande culture, une culture implanté précocement après la récolte de céréales à pailles, donc avec des pailles au sol, subira préjudice. Les substances allélopathiques sont aussi en cause.

Dans la nature, les matières vertes ne retournent quasiment jamais au sol sans avoir été digérées par des ruminants auparavant. Leur rumen est un incubateur bactérien qui digère tout ce qui plait aux bactéries. Leurs déjections contiennent les éléments moins décomposables par les bactéries, éléments qui seront donc pris en charge par les champignons du sol. La lignine empêche les bactéries d’accéder à la cellulose qui lui est liée. La lignine protège de la dégradation bactérienne trois fois son poids en cellulose. C’est pour cette raison que plus un tissu végétal est mature (donc chargé en lignine) moins il est digestible par les ruminants. De plus, le cycle de vie naturel de nombreux champignons inclut un passage par le système digestif des ruminants, passage qui active les spores.

Dans le cas des engrais verts, un risque est de les détruire à un stade pré-floraison, alors qu’ils auront réalisé un maximum de minéralisation de l’humus pour assouvir leur besoins mais pas encore eu le temps d’élaborer les précurseurs de l’humus : la cellulose et surtout la lignine. Dans ce cas, les engrais verts risquent de devenir des consommateurs d’humus stable.

On comprend donc l’intérêt d’une ressource comme le BRF, mais celle-ci est forcément limitée. Importer d’ailleurs des quantités massive d’une ressource limitée, et donc effectuer de vastes transferts de fertilité, n’est guère soutenable.

Donc : les saprophytes sont la clé de la construction d’humus dans les sols. Lors de la décomposition, les bactéries stockent (environ) 15% du carbone consommé, alors que les champignons stockent 50% du carbone dans leurs parois et dans des composés organiques stables.

Le décalage climactique

Dans la nature, les zones tempérées n’ont pas tendance à avoir un couvert végétal vert toute l’année. En zone tropicale, c’est le cas : les argiles locaux, avec une température qui favorise la minéralisation toute l’année et de fortes précipitations, ne peuvent retenir les MO, donc le seul stockage de ce qui est soluble est le vivant.

Sous nos climats à saisons séparées, chaque saison fonctionne différemment :

  • Printemps et été sont des moments de minéralisation intense. Déstockage des réserves minérales, humiques et hydriques. Pour autant, le sol n’est pas nu et est protégé du soleil.
  • L’automne est une période d’humification. Les matériaux matures, riches en cellulose et lignine, sont rendus au sol. C’est là que l’équilibre du bilan humique doit s’opérer, à l’aide des champignons. Selon les méthodes de culture, si l’avantage est donné aux champignons, le bilan humique peut être positif. En revanche, si l’avantage est donné aux bactéries, le bilan sera négatif.
  • L’hiver est une période de mise en réserve. Il y a une litière abondante au sol. Les mycéliums deviennent eux-mêmes partie du stockage, protégeant les matières solubles du lessivage. La mortalité des bactéries en hiver génère une production d’azote qui se stocke sur les argiles. C’est aussi la période de stockage de l’eau.

L’auteur évoque donc l’importance de reproduire ces cycles naturels dans les cultures et défend le maïs : « Le maïs, comme le ferait un sorgho ou un tournesol, utilise la totalité des nitrates qui sont libérés par minéralisation puisque leur croissance et leurs besoins sont synchronisés avec la disponibilité des minéraux. » La pollution aux nitrates serait ainsi évitée. De plus, le maïs laisse beaucoup de pailles. Évoquant une étude, l’auteur affirme que la biodiversité serait aussi large dans une monoculture de maïs (avec restitution des cannes au sol) que dans les milieux naturels sauvages de la région. L’auteur dit aussi qu’irriguer en allant pomper l’eau en profondeur reviendrait finalement à imiter l’action des arbres qui pomperaient cette eau dans un contexte de climax forestier naturel.

En conclusion, Francis Bucaille insiste sur le fait que, selon lui, « Le sujet n’est pas la taille, mais le mode d’exploitation, la compatibilité avec le climax d’origine. » Il est très critique envers une écologie potentiellement naïve, dont les fermes idéaliseraient la petitesse tout en nécessitant des apports massifs de fumier, paille, BRF, etc., venus d’ailleurs. Il dit aussi : « Tous les hectares cultivés de la planète doivent pouvoir être revitalisés en étant leur propre source de fertilité. » Évidemment, j’apprécie la démarche, mais je m’interroge cependant : peut-on parler d’auto-fertilité quand ces modes de culture nécessitent un important machinisme ? Ces complexes machines et leurs carburants ne relèvent-elles pas aussi d’un massif transfert de fertilité, et qui plus d’un transfert de ressources polluantes et non renouvelables ?

mardi 25 février 2025

Biologie de Campbell #17 : L'expression génétique, du gène à la protéine

Biologie de Campbell #17 : L'expression génétique, du gène à la protéine

L'expression génétique est le processus par lequel l'ADN régit la synthèse des protéines (ou, dans certains cas, seulement des ARN). Il y a deux étapes : la transcription et la traduction. 

Le début du chapitre évoque les méthodes expérimentales qui ont permis de décrypter l'expression génétique, notamment en créant à l'aide de rayons X des mutant d'une moisissure et en observant les besoins nutritionnels différents de ces mutants, qui par exemple ont perdu par mutation la capacité de synthétiser une enzyme. Dans les faits, les gènes commandent la synthèse d'autres protéines que les enzymes, on parle de la synthèse de polypeptides. Cependant, c'est encore plus compliqué : plusieurs gènes peuvent encoder de façon liée plusieurs polypeptides, de nombreux autres codent pour des molécules d'ARN...

Les gènes contiennent les instructions qui permettent de fabriquer des protéines spécifiques, mais c'est l'acide ribonucléique, l'ARN, qui établit le lien entre les gènes et la synthèse des protéines.

La transcription est la synthèse d'ARN à partir de l'information contenue dans l'ADN.

L'ARN messager (ARNm) est un type d'ARN qui sert de messager entre l'ADN et le dispositif de synthèse protéique de la cellule. On nomme transcription la synthèse de tout type d'ARN à partir d'une matrice d'ADN. L'information est transcrite, ou transposée, de l'ADN à l'ARN.

La traduction est la synthèse d'un polypeptide à partir des informations contenues dans l'ARNm.

Il y a passage d'une "langue" à une autre : la cellule traduit la séquence de nucléotides d'une molécule d'ARNm en une séquence d'acides aminés appartenant à un polypeptide. La traduction se déroule dans les ribosomes.

Le flux de l’information génétique peut se résumer ainsi :

ADN → ARN → protéine

La transcription et la traduction se déroulent dans tous les organismes. Il y a cependant des différences entre les organismes procaryotes (cellules sans noyau) et les organismes eucaryotes (cellules avec noyau).

LE CODE GÉNÉTIQUE

Comment 4 nucléotides peuvent détenir le message génétique correspondant à 20 acides aminés différents ? (Les protéines sont des polymères d'acides aminés, les acides aminés sont donc les blocs structurels des protéines.)

Pour résoudre ce problème, le flux d'information allant du gène à la protéine repose sur un code à triplet. Les instructions génétiques pour la synthèse d'une chaine polypeptidique se présentent sous la forme d'une série de mots composés chacun de trois nucléotides d'ADN qui ne se chevauchent pas.

Dès le milieu des années 1960, les 64 codons, qui codent pour les acides aminés, sont déchiffrés (3 de ces 64 codons codent en fait pour un signal d'arrêt marquant la fin de la traduction).

Le code génétique est presque universel. Il est le même de la plus simple des bactéries jusqu'aux animaux et végétaux les plus complexes. Par exemple, la traduction du codon CCG de l'ARNm donne l'acide aminé proline chez tous les organismes dont on a examiné le code génétique.

Donc, ce langage est nécessairement apparu très tôt dans l'évolution de la vie.

Le reste du chapitre est pour l'essentiel une étude détaillée des processus de transcription et de traduction. Je saute ici beaucoup de choses, mais :

  •  Un mot sur la transcription

L'ARNm est créé par une "lecture" de l'ADN par l'enzyme ARN polymérase, qui écarte les deux brins d'ADN et transcrit l'information. Encore une fois, on retrouve l'analogie de la fermeture éclair. 

Plus tard, une étape importante consiste à "simplifier" la transcription : c'est l'épissage de l'ARN. En effet, la plupart des gènes d'eucaryotes ont de longues séquences non codantes (introns) qui viennent interrompre les séquences qui codent les protéines (exons) et sont donc destinées à être exprimées. Les introns sont éliminés de la transcription de l'ARN. Les exons sont donc les séquences de l'ADN qui parviennent à l'extérieur du noyau.  

La raison d'être des introns sur le plan évolutionnaire fait encore débat, mais leur rôle pourrait être (en autres choses) de favoriser l'assemblage de différentes parties de différents gènes en les "prédécoupant" afin d'augmenter les possibilités d'expression génétique. En effet, un organisme produit un nombre de protéines différentes beaucoup plus élevée que le nombre de ses gènes. On compte 20000 gènes humains codant pour les protéines, alors que les cellules peuvent produire entre 75000 et 100000 protéines différentes.

  • Un mot sur la traduction

Un nouvel agent fait son apparition : l'ARNt, ou ARN de transfert. Cet ARN a pour fonction d'acheminer des molécules d'acides aminés présentes dans le cytosol vers un polypeptide en cours de synthèse dans un ribosome. La cellule garde toujours en réserve une quantité des 20 acides aminés dans son cytosol.

Évidemment, tout ça est très complexe quand on se plonge dans les détails, ce que je ne vais pas faire. Il y a pas moins de 9 pages de développements sur la traduction. Notons cependant qu'une seule molécule d'ARNm sert en général à synthétiser simultanément un grand nombre de copies d'un même polypeptide, à l'aide de plusieurs ribosomes qui s'associent : les polyribosomes. C'est un des phénomènes qui permettent de décupler l'effet concret des signaux instructeurs.

Résumé : 

  1. Transcription. L'ARN est transcrit à partir d'une matrice d'ARN
  2. Maturation de l'ARN. Épissage.
  3. L'ARNm quitte le noyau et se lie au ribosome qui le lit et envoie des ARNt appropriés chercher les acides aminés. 
  4. Activation de l'acide aminé. Chaque acide aminé se lie à l'ARNt qui lui correspond à l'aide d'un enzyme spécifique et d'ATP.
  5. Traduction. Une série d'ARNt ajoutent leur acide aminé à la chaine polypeptidique pendant que l'ARNm traverse le ribosome un cordon à la fois. Une fois complété, le polypeptide se détache du ribosome.

 LES MUTATIONS

On voit donc comment une modification (mutation) de l'information génétique a un impact concret. Ces mutations sont à l'origine de l'immense diversité génétique. C'est la principale source de nouveaux gènes.

Le chapitre détaille les mutations à petite échelle, comme la substitution d'une paire de bases, les insertions ou délétions. Il y a des mutations spontanées, qui font partie intégrante du processus qu'est l'évolution. Il existe aussi des agents chimiques ou physiques appelés mutagènes qui peuvent interagir avec l'ADN et provoquer des changements.

Définition du gène dans le cadre l'expression génétique : Un gène est une région de l'ADN qui peut être exprimée pour produire un produit final fonctionnel, soit un polypeptide, soit une molécule d'ARN.

samedi 22 février 2025

Les petits livres dessinés de Samuel Lewis (Une année avec la terre, Redonner vie à la terre, Mon potager)

Ces petits livres (Une année avec la terre, Redonner vie à la terre, Mon potager), publiés à partir de 2020 sont aussi mignons qu’instructifs. Samuel Lewis, jardinier autodidacte ayant beaucoup appris des anciens de sa région (la Bretagne), vit avec sa famille d’une façon quasi médiévale. On entend souvent le mot d’autonomie, la plupart du temps à tort selon moi, mais dans ce cas, je veux bien l’accorder à Samuel Lewis. De la production de nourriture à la construction de bâtiments en passant par la fabrication d’objets du quotidien et la simplicité des besoins, il se rapproche de cet idéal.

Quoi qu’on pense de l’idée d’autonomie, il est indéniable que toutes les idées et compétences que l’auteur parvient à transmettre sont captivantes et utiles. D’autant plus que la forme est remarquable : ces dessins simples mais expressifs, accompagnés parfois de quelques mots, sont plus denses, plaisants, expressifs et didactiques que bien des pavés de texte.

Lien pour acheter les livres directement à Samuel, et lien vers une vidéo détaillée d’une heure sur son projet (en anglais).

Une année avec la terre

La première chose à noter concernant les quelques hectares de Samuel Lewis, c’est qu’ils sont divisés en micro bocages. Il a séparé les terres en petits champs, qui font entre 300m² et 1100m². Ces champs sont séparés par des buttes accompagnées de haies composées d’arbres utiles et fruitiers, qui servent aussi bien de source de nourriture que de bois d’œuvre et de chauffe. De plus, elles hébergent toute une biodiversité utile.

Il y a donc plus d’une vingtaine de ces petites parcelles. Une ou deux servent de potager, une ou deux servent à cultiver des céréales, etc, mais le plus frappant, c’est que la plupart des parcelles servent à produire du foin. Ce foin sert à pailler et amender les parcelles cultivées, qui ne représentent donc qu’une part minime de la surface totale. Dans cette répartition, la majorité des terres ont donc un rôle de soutien et de fournisseuses de biomasse pour une minorité productive. C’est ce choix qui permet d’atteindre l’autofertilité : le compost et le paillage sont produits sur place. Les prairies sont évidemment fauchées à la faux. A noter que même les parcelles qui produisent du blé sont paillées : évidemment, le modèle n’est pas transposable à plus grande échelle.

Samuel Lewis montre aussi comment construire un abri avec charpente faite maison et toit en chaume, un tour à bois, un panier en osier, comment faire son pain, ses cornichons, sa choucroute, etc. J’ai été frappé par sa pile de fagots, trois fois plus haute que lui. En effet, même s’il a une tronçonneuse, il est traditionnellement beaucoup plus aisé de récolter des petites branches en quantité (notamment en tenant les arbres en trogne) que des buches. Même chose pour les traditionnelles meules de foin.

Redonner vie à la terre

Comme il n’y a que peu de texte, ce n’est pas 100% clair, mais je crois que ce livre-là raconte comment un hectare autrefois cultivé en grande culture classique été racheté et transformé. La première étape a été de créer les talus et haies bocagères, pour limiter l’érosion éolienne comme hydrique et ramener de la biodiversité. Ils servent aussi de réservoir à biomasse pour le compost.

De plus, les talus servent à faire de légères terrasses sur la pente (la terre pour faire le talus est prise de façon à aplanir la parcelle sous le talus) et à jouer le rôle de baissières, ou swales : l’eau ne peut plus dévaler librement la pente et les racines des arbres qui poussent sur les talus l’aident à s’infiltrer. C’est selon moi une méthode à manier avec prudence : on ne sait pas quel est le sol de l’auteur, comment sont placés les talus par rapport aux courbes de niveau, etc. Je sais que chez moi, une telle pratique devrait laisser un passage permanent pour l’écoulement de l’eau afin que le terrain ne se transforme pas en marécage en hiver.

Les talus sont plantés en bonne partie avec des arbres champêtres locaux, simplement en récupérant les graines et jeunes pousses sauvages : chênes, châtaigniers, noisetiers, frênes… Bien sûr, comme les parcelles sont petites et les haies bocagères nombreuses, il faut entretenir ces arbres sur le long terme afin qu’ils n’ombragent pas trop les parcelles. La cépée et la trogne jouent ici un rôle capital. De plus, cet « entretien » est à usage multiple, puisqu’il fournit aussi bois de chauffe et d’œuvre, sans compter qu’un ensoleillement renouvelé favorise la fructification de ces mêmes arbres. Par exemple, Samuel Lewis recommande un cycle de 9 ans pour la cépée des noisetiers.

J’ai été étonné par sa façon d’entretenir les chênes en coupant toutes les branches, ne laissant que le tronc et une houppette. Pour le frêne et le châtaigner, c’est un cycle de 25 ans qui est recommandé, avec sélection des rejets de la cépée et ébranchage.

Est aussi décrit la construction d’une maison à partir d’une ruine trouvée sous les ronces, avec pierres du terrain, charpente maison (c’est le cas de le dire), fabrication du foyer de la cheminée, etc. Les ardoises et le bois plus fin viennent d’ailleurs.

On en apprend plus sur le paillage des champs : le paillage se fait en été, mais comme j’ai pu en faire l’expérience, pailler avec du foin c’est bien, mais plein de choses passent à travers. L’auteur effectue donc une intervention en hiver, où il dépaille, désherbe, et paille à nouveau par-dessus les adventices déracinées. Le dépaillage final se fait au printemps avant le passage à la houe. Du moins, c’est pour les cultures d’été.

Il raconte une année difficile, très pluvieuse, où il a néanmoins eu du succès avec le seigle. Enfin, on a des chiffres : 65kg de seigle sur 400m², soit 1085 kcal par jour et par an pour une personne. Disons 1000 kcal car il faut garder des semences pour l’année prochaine. Récolte remarquable ou ridicule ? C’est débattable. En tous cas, Samuel Lewis a l’air heureux.

Mon potager

Je serai plus bref sur ce livre-là, car il s’agit avant tout de conseils de culture au potager, qui sont aussi plaisants à parcourir qu’étonnamment denses, mais je vais pas les retranscrire ici. Notons que Samuel Lewis ne s’arrête pas à la production légumière, il s’intéresse aussi à la production de graines et à la conservation de la récolte.

Pour les fèves, que je sème en automne, il faut que je me souvienne la prochaine fois de refaire un semis au même endroit au printemps, pour voir si ça étend la période de récolte sans nuire à la production des plants plus avancés. Pour le maïs doux, ne pas avoir peur de planter les grains à 10cm de profondeur. Quant aux courges, les faire un peu sécher au soleil avant de les stocker.

J’ai apprécié les quelques pages qui évoquent les expérimentations plus ou moins ratées de Samuel et de son père en potager moderne, c’est-à-dire avec serre bâchée, pots en plastique, carrés de culture bien propres, etc. C’est un beau contraste avec le riche talus qui entoure leur potager d’aujourd’hui : chênes, noisetiers, pommiers, pruniers, groseilliers, cassis, aromatiques…

lundi 17 février 2025

Les sols, un écosystème complexe et vital - La Recherche (janvier/mars 2025)


J'ai crée une section blog sur le site de ma pépinière, où je publie ce genre de truc.

Je copie l'article sur ce bon vieux blog !

Petit compte-rendu sur le dossier concernant les sols du magazine La Recherche (janvier/mars 2025).

 

Comme souvent avec ce format, je trouve que les articles, nécessairement brefs, ont souvent à peine le temps d’aborder leur sujet. Rien ne vaut les livres ! J’en tire néanmoins quelques infos.

Le sol, entre vie et mort

L’entretien avec l’inévitable Marc-André Selosse est une introduction efficace. Les microbes participent à la création du sol, en déstabilisant les roches pour trouver des oligo-éléments. Ils accélèrent donc la vitesse de dissolution des roches, forment des biofilms qui contribuent à retenir l’eau et produisent de l’acide, qui augmente drastiquement la vitesse d’hydrolyse (destruction de la matière par l’eau).

Rappelons aussi l’importance cachée des exsudats racinaires : jusqu’à 40 des produits de la photosynthèse des plantes passent dans le sol, les plantes modifiant ainsi leur milieu.

Les interactions entre la vie du sol et les plantes sont hautement complexes et encore peu comprises. Par exemple, des expériences montrent que les amides seraient à priori essentielles pour la vie des plantes, peut-être parce qu’elles régulent les populations bactériennes, empêchant ainsi les bactéries de monopoliser les nutriments du sol.

Rappel aussi sur les méfaits du labour : forte érosion, favorisation de la transformation de matière organique des sols en CO2 par les bactéries, perte de cette matière organique… Les sols d’Europe ont perdu 50% de leur matière organique depuis 1950. Le sol se retrouve ainsi émettre du carbone plutôt qu’à en stocker. Quant à l’artificialisation des sols, elle serait équivalente à 100 terrains de foot par jour.

Je note les définitions synthétiques de :

  • l’agriculture biologique : pas de pesticide, mais du labour
  • l’agriculture de conservation : pas de labour, mais un peu de pesticides

Le sol, sous le béton

On pourrait croire que l’artificialisation des sols est directement causée par l’augmentation de la population, mais non : l’artificialisation augmente 3,7 fois plus vite que la population. C’est le modèle de la maison individuelle qui serait en cause, mais aussi toutes les zones de services et commerces qui les accompagnent.

Il existe un projet politique de « zéro artificialisation nette » adopté sous forme de loi en 2021. L’objectif est de réduire de moitié la construction sur espaces naturels et agricoles d’ici 2031, et d’arriver à zéro artificialisation nette d’ici 2050. Autant dire que si c’est autant respecté que tous les engagements sur le climat… D’autant plus que la loi n’a qu’une dimension quantitative et pas qualitative, ne faisant aucune distinction entre les types de sol et leur valeur pour l’agriculture ou la biodiversité.

Des pratiques agricoles très différentes

Bien que bref, l’article sur les pratiques agricoles est dense.

  • « L’agriculture conventionnelle considère le sol plutôt comme un support physique pour les cultures, sans grande considération pour les dynamiques écologiques qui s’y jouent. »
  • « A l’opposé, en agroécologie, le sol constitue une préoccupation centrale, car il est perçu comme un écosystème dont le maintien de la santé est essentiel au bon fonctionnement et à la durabilité des agrosystèmes. »

On s’en doute, l’utilisation de pesticides réduit considérablement la quantité et la diversité de la faune du sol. La fertilisation minérale peut réduire la diversité des champignons mycorhiziens. « Au contraire, la fertilisation organique augmente la quantité et la diversité fonctionnelle des micro-organismes et des nématodes ainsi que la diversité végétale des prairies. » Cette diversité végétale entraine la diversité animale ; la diversité globale régule les populations de ravageurs.

On sait que la vie se concentre dans ce que j’appellerais les zones frontières, ou lisières, où plusieurs systèmes sont en contact. C’est le cas aussi dans les sols, avec la rhizosphère (zone d’influence des racines) et la drilosphère (zone d’influence des vers de terre).

Des espèces envahissantes ?

On connait la renouée du japon, une célèbre « envahisseuse », qui a droit à son article. Je l’ai souvent vue dans la nature, mais toujours dans des endroits où le sol avait été fortement perturbé par l’activité humaine. Fun fact : les jeunes pousses sont comestibles (mais attention, les renouées du Japon ont tendance à aimer les sols pollués). De plus, la renouée fleurit en septembre et octobre, ce qui en fait une plante mellifère d’intérêt non négligeable.

Je ne peux m’empêcher d’être sceptique par rapport à la paranoïa qui entoure cette plante, ou d’autres. Proscrire sa vente, certes, pourquoi pas, mais consacrer des ressources à lutter contre elle ? Est-elle vraiment aussi nuisible ? L’article ne parvient pas à m’en convaincre. Je ricane quand je lis que les massifs de renouées « perturbent l’environnement ». Dans ce cas, qu’en est-il des activités humaines, des monocultures sous pesticide, des plantations de pin sur des milliers d’hectares, etc. ? Certes, plusieurs problèmes peuvent cohabiter, mais la différence d’échelle fait que cette pauvre renouée me semble vraiment être prise comme bouc émissaire. Enfin, je ne suis pas expert du sujet.

Il est vrai que cette plante est d’une vigueur remarquable. Géophyte, elle passe l’hiver enfouie dans le sol, où les rhizomes stockent des nutriments. Les rhizomes peuvent prendre des nutriments dans un endroit riche pour les transmettre plus loin, permettant à la plante de s’établir dans des zones pauvres. Super pouvoir : la renouée peut inhiber les bactéries dénitrifiantes du sol, ce qui augmente la quantité d’azote disponible pour elle. Il se trouve que les opérations de destruction de la plante peuvent contribuer à la répandre, puisque ses fragments peuvent s’enraciner plus loin, surtout s’ils sont transportés par l’eau.

L’article suivant évoque une autre espèce envahissante et potentiellement plus dangereuse : les vers plats, qui mangent nos innocents vers de terre et n’ont pas vraiment de prédateurs. Sans surprise, le changement climatique est un facteur important dans leur propagation.

Agroforesterie et carbone

L’article sur l’agroforesterie est forcément un peu léger pour un sujet aussi intéressant, mais rappelons l’un des intérêts principaux de l’agroforesterie : la réduction de l’érosion. Je note un autre intérêt, que je n’avais pas en tête : les systèmes racinaires des arbres joueraient un rôle de « filet de sécurité » pour réduire les pertes de nutriments, notamment les pertes en nitrates. Fascinant, mais je m’étonne : la présence racinaire des arbres n’est-elle pas justement limitée dans les zones de cultures, où passent régulièrement des machines pour travailler le sol ? A quel point les arbres ont-ils des racines en profondeur sous les cultures pour récupérer les nutriments ? On sait en effet que les racines des arbres ont tendance à rester proches de la surface, là où tombent les matières organiques naturelles et où se concentre la vie (contrairement à ce que représente l’illustration en couverture du magazine).

En agroforesterie, s’il y a forcément une perte de rendement à l’hectare pour la culture principale (céréales par exemple), le rendement total, en prenant en compte les fruits, le bois, etc., à tendance à être plus élevé, sans compter les bénéfices agronomiques et écologiques.

Un autre article évoque l’importance du sol dans le stockage du carbone. Des sols perturbés libèrent du carbone, alors que des sols sains ont la capacité d’en absorber. Bien sûr, ce n’est pas juste avec des sols vivants et riches en carbone qu’on stoppera le changement climatique, loin de là, mais c’est un angle important, d’autant plus qu’un sol riche en carbone absorbe mieux l’eau, est plus fertile, plus riche en biodiversité, etc.

La vie comme remède

Point vocabulaire sur diverses façon de solutionner la pollution des sols avec les micro-organismes :

  • La biostimulation : stimuler l’activité des micro-organismes déjà présents dans le sol pour dégrader les matières polluantes.
  • La bioaugmentation : introduire des souches spécifiques.

Tout ça sonne très bien, et il est passionnant de constater les capacités variées des formes de vie microscopiques, mais forcément, c’est très difficile à mettre en place à grande échelle. Et couteux. Le mieux reste, bien sûr, de ne pas polluer.

Par ailleurs , la façon suivante de traiter des sols radioactifs (et donc assez localisés) est frappante. Le césium radioactif ressemble moléculairement au potassium. La phytoextraction consiste à cultiver des plantes capables d’absorber et accumuler le césium à cause de cette ressemblance. Après, qu’est-ce qu’on fait du césium, je ne sais pas… La recherche génétique s’emploie à créer des variétés capables de bloquer l’arrivée du césium jusqu’aux parties consommables des plantes. Comme d’hab, le mieux reste de ne pas polluer.

Fait saisissant : chaque année, en France, plus de 245 millions de tonnes de terre sont excavées du territoire pour la construction d’infrastructures souterraines (parkings, métro, fondations…). On appelle globalement technosols ces « sols » constitués de matières fabriquées (béton, etc.) ou excavées par les humains. Il existe des projets pour transformer les technosols en sols vivants en utilisant des vers de terre à grande échelle, mais ça me semble être un techno-solutionnisme utopique qui n’est pas sans rappeler le roman Humus de Gaspard Koenig. La section « start-up » du dossier du magazine rajoute une bonne couche de techno-solutionnisme. Bien sûr, je souhaite le succès de ces entreprises, mais il est frappant que ce dossier se conclue sur des start-ups technophiles.

samedi 1 février 2025

The resilient farm and homestead (revised edition) - Ben Falk

Un livre que j'ai déjà lu, en version numérique, dans son édition précédente, dans lequel Ben Falk évoquait ses 10 années d'expérience de gestion d'un lieu de vie rural. Aujourd'hui, réédition fortement révisée, expurgée et développée, après 10 ans d'expériences supplémentaires. Cette fois, je me le suis procuré en version physique. Et pour moi, c'est bientôt 3 ans passés à vivre dans un cadre qui ne mérite sûrement pas les qualificatifs de farm ou même homestead, mais qui s'en rapproche.

Rappelons que c'est un bouquin long, dense, inégal, qui évoque autant une philosophie de vie que les moyens pratiques de pratiquer cette vie. L'auteur est parfois bavard, ou un peu trop flou, mais il n'empêche que qui est intéressé par ces sujets (moi par exemple) ne peut manquer d'en retirer de la substance. Mentionnons que l'auteur gagne sa vie entant que consultant en design de homestead, et que, avec sa compagne et leur fils, il produisent eux-mêmes 75% de leur nourriture. J'aurais aimé un peu plus de recul sur l'idée de résilience et la dépendance à technique : l'auteur prépare tout à fait sagement le déclin de la ressource pétrolière, par exemple, mais imagine-t-il la vie sur sa ferme sans voiture, tracteur, tronçonneuse ? A quel point serait-ce tenable ? C'est peut-être un peu hors-sujet, car prospectif, mais quitte à parler de résilience, autant aller jusqu'au bout.

Un mot sur la fameuse (ou malfamée) permaculture, terme qui est encore cher à Ben Falk : « Permaculture can be thought of as applied disturbance ecology. » Dans le sens où l'idéal du naturel n'est qu'un idéal, et que humain n'est qu'un organisme parmi tant d'autres occupé à façonner l'environnement à son avantage. L'objectif ici étant de façonner de façon durable, soutenable, plutôt que destructive et insoutenable.

Un mot sur l'idée de complexité biologique alliée à une simplicité technologique : « Resilience is greatest when living aspects of a system are complex, diverse, and connected, while the nonliving aspect of the system are simple. This is rooted in the fact that technical systems are constantly prone to entropy and are always moving towards failure, whereas living systems actually ted to build higher levels of order in time. »

Sur la gestion des herbages, et leur caractère précieux. Je retrouve des éléments que j'évoquais récemment : « You only build soil as deeply as you can get plant roots to penetrate, so the taller you let your yard or pasture grow before it's cut or grazed, the more soil you're making. » Ben Falk évoque à cette occasion les difficultés rencontrées pour créer des pâturages de qualité à partir de friches. Finalement, une solution miracle et intemporelle : le brulis, suivi d'une intervention plus moderne : le semis des espèces à fourrage désirées. D'ailleurs, à propos des semis d'engrais verts, je retiens l'idée suivante : faire des semis légers mais fréquents au lieu d'un unique semis, plus sensible aux aléas.

Toute la partie sur les swales, ou baissières en français, me laisse encore sceptique. C'est sûrement une question d'adaptation aux conditions locales. Le but est de récolter et de retenir l'eau sur le site, mais pour moi, sur mon terrain au sol pour l'essentiel lourd, argileux et hydromorphe, le défi serait plutôt d'évacuer l'eau pendant les trois quarts de l'année et de la retenir pendant seulement un quart de l'année. Pourtant, Ben Falk semble évoquer des conditions de sol proches des miennes. Ce qui ne fait en revanche guère de doute : dans ces contions de sol lourd, planter les arbres sur des buttes (buttes crées justement avec la terre sorties pour faire les baissières et placée immédiatement parallèles à elles) est pertinent afin de limiter l'asphyxie racine tout en créant une zone plus successible de garder l'humidité pour les racines (la baissière, ou fossé, justement). Donc les swales seraient-elles essentiellement utiles dans un objectif autant de plantation d'arbres (fruitiers et autres) autant que de gestion de l'eau ? C'est ce que je crois comprendre.

Ben Falk consacre quelques pages tout à fait pertinentes à l'obsession de la propreté et la perte de temps et de ressources qu'elle représente, surtout dans un contexte de travail de la terre quotidien. Fun fact : je ne me lave pas les cheveux, jamais, vraiment, et tout va bien, ils ont l'air parfaitement normaux et passent tous les examens des curieux qui viennent les regarder de près.

Selon l'auteur, un rapport sensé et soutenable avec l'environnement n'est possible que dans un cadre de « responsabilité directe » où chacun a directement à subir les conséquences de ses actions. C'est limpide : si survie et bien-être dépendent directement des actes accomplis au quotidien dans l'environnement, alors non seulement il serait insensé d'avoir un rapport destructeur avec cet environnement, mais en un sens, et c'est moi qui l'ajoute, ce serait impossible. Enfin, dans l'idéal : l'Histoire ne manque pas d'exemples de civilisations plus ou moins grandes épuisant les ressources qui leur permettent d'exister. Néanmoins, sont désirable connexion intime et long-termiste avec un lieu.

La partie consacrée à l'élevage et l'éducation d'enfants dans ce contexte de homestead est également hautement pertinente. Ne pas supposer qu'un enfant ne peut pas faire telle ou telle chose, mais l'accompagner dans ses envies naturelles, vers l'expérimentation et donc, nécessairement, l'échec. Accepter une part de risque, car ce n'est qu'en sortant de sa zone de confort qu'on apprend, tout en offrant support permanent. Savoir renoncer à une part de contrôle. Montrer plutôt que simplement expliquer. J'apprécie la longue liste fournie de savoirs concrets, du genre qu'on apprend pas à l'école et que je suis encore très loin de maitriser, alors qu'un enfant élevé dans un contexte comme celui de Ben Falk pourrait les maitriser avant l'adolescence.

Je vais terminer sur la longue liste d'éléments que Ben Falk évoque afin de maintenir et promouvoir la santé. Encore une fois, c'est pertinent. Sans détailler ses arguments, je vais voir comment je m'en sort.

  • Temps libre et spontanéité. Oui, c'est pour moi une priorité depuis longtemps, et j'y suis plutôt parvenu. Globalement, je fais ce que veux. Du moins, je jouis d'un niveau de liberté que suppose supérieur à celui de la grande majorité de la population.
  • Mouvement. Oui, je suis très actif physiquement. Je travaille beaucoup en extérieur, avec des plantes, avec mes muscles et mon agilité autant (ou presque) qu'avec mon esprit et mon raisonnement. C'est bien.
  • Hygiène du sommeil. Je m'en sors bien. Je m'endors très facilement, je fais régulièrement des nuits complètes, même si je souffre parfois d'insomnies. J'écris par exemple ce compte-rendu après une nuit de 3 heures. C'est un problème sur lequel je travaille activement ces temps-ci.
  • Temps en extérieur. Oui, beaucoup. 
  • Manger modérément / jeûner. J'ai commencé à m'intéresser à la nutrition il y a peut-être 10 ans et j'ai beaucoup travaillé à améliorer mon hygiène alimentaire et à dépasser mes addictions. Je reconnais les vertus du jeune intermittent, ou occasionnel, mais au contraire j'ai tendance à manger un peu trop et selon un rythme qui ne me convient pas toujours. La raison est sociale : on vit à quatre. Je vais travailler à me réapproprier mes rythmes alimentaires, qui incluent aisément le jeune intermittent.
  • Amour, connexion, beauté. Oui. Le social, c'est peut-être le plus important, difficile et délicat de tous ces éléments !
  • Exposition au soleil. Oui, et je reconnais son importance. Travailler plus souvent dehors en sous-vêtement, peut-être ?
  • Calme, réflexion, gratitude. Oui. Je m'en sort bien sur ce plan-là, d'une façon assez innée.
  • Créativité et travail manuel. Oui. Le projet de pépinière fruitière est justement une façon de marier ces deux éléments.
  • Temps personnel. Oui, même en vivant à quatre. J'ai tendance à en vouloir encore plus, mais je connais mes prédispositions et je préfère lutter un peu contre celles-ci.
  • Partage et entraide. Oui, à mon sens. Je suppose que certains pourraient me qualifier d'égoiste, mais mon approche du partage est peut-être la suivante : un regroupement d'égoistes épanouis dont les aspirations convergent et s'entremêlent.
  • Non addiction aux médias. Voilà bien un point auquel je ne peux répondre oui. Je suis accro à la stimulation, et bien que je passe l'essentiel de mon temps dehors, je suis surconnecté. Il y a des inconvénients, mais aussi des avantages.
  • Détox tous les jours. A partir de ce point, et pour les suivants que je ne vais pas évoquer, Ben Falk parle de notions de santé plus générales et envers lesquelles j'émets parfois des doutes (par exemple cette idée de détox utilisée à tort et à travers). Ceci dit, l'essentiel est juste : esquiver autant que formes les diverses formes de pollution inventées par la modernité (sans renier les miracles techniques et médicaux de cette même modernité) tout en privilégiant le contact permanent avec la nature et le naturel, pour des raisons de santé autant physiques que mentale.