vendredi 25 mai 2018

Ainsi parlait Zarathoustra - Nietzsche


Ainsi parlait Zarathoustra - Nietzsche

Ce n'est pas la première fois que je commence un livre de Nietzsche, mais c'est la première fois que j'en termine un. Ainsi parlait Zarathoustra est une œuvre vraiment particulière : de la philosophie sans jargon, totalement détachée, du moins en apparence, de toute doctrine, et avec une forte dimension narrative. Zarathoustra vit en ermite sur sa montagne, et décide d'aller communiquer sa sagesse aux hommes. Mais, bien sur, les hommes ne sont pas prêts à le recevoir : trop attachés à leurs œillères, ils se moquent de lui, et Zarathoustra repart dans sa montagne avec son aigle et son serpent. L'aigle, c'est tout ce ce qui est haut et grand chez l'homme ; le serpent, c'est tout ce qui est bas et rusé. Mais l'aigle et le serpent de Zarathoustra sont amis : c'est que l'homme à besoin d'être au clair avec l'intégralité de sa personne. Pour poursuivre son potentiel, il ne doit pas refouler des parties de lui jugée négatives par la morale conventionnelle, non, il doit se connaitre et s'explorer en profondeur. C'est ainsi que Zarathoustra parle des vallées et des montagnes : les abysses et les pics forment ensemble un paysage grandiose. Zarathoustra décide donc de continuer seul sa quête du surhumain, ou alors avec seulement quelques compagnons bien choisis. Encore une fois son attitude vis à vis de ses amis est à double tranchant : il se considère supérieur à eux et veut leur enseigner, mais en même temps il les incite à ne pas le vénérer et à aller ailleurs chercher leur sagesse. Tout culmine dans un final particulièrement narratif qui ressemble à une parodie de la cène : Zarathoustra retrouve toutes ses connaissances, qui on chacune un parcourt bien particulier, et ensemble ils célèbrent la quête philosophique. D'ailleurs, il y a beaucoup d'humour, notamment cette scène ou les pseudo apôtres font semblant d'être retombés dans la superstition en vénérant un âne pour embêter Zarathoustra. Comme plusieurs fois déjà dans le livre, Zarathoustra est insatisfait : il a progressé dans sa quête, mais il n'est pas arrivé, et il n’arrivera jamais. Il n'y a pas de doctrine suprême, pas d'état ultime du bonheur, juste une interminable poursuite de l'accomplissement philosophique, du véritable soi et d'une énergie vitale toujours renouvelée. Je pourrais me noyer dans les louanges à propos d'Ainsi parlait Zarathoustra. Je vais probablement lire d'autres productions de Nietzsche.

Je vous le dis : il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez encore du chaos en vous. (p.14, Prologue)

Malades et moribonds furent ceux qui méprisèrent le corps et la terre et qui inventèrent les choses célestes et les gouttes de sang rédemptrices : et qui plus est ces doux et sombres poisons, c'est dans le corps de la terre qu'ils les puisèrent !
Ils voulaient échapper à leur malheur et ils trouvaient les étoiles trop lointaines. Alors ils se mirent à soupirer : « Oh ! s'il existaient seulement des chemins célestes pour se glisser dans une autre existence et un autre bonheur ! » C'est alors qu'ils inventèrent leurs petites ruses et leurs petits breuvages sanglants.
Ils se croyaient désormais délivrés de cette corps et de cette terre, ces ingrats. Et pourtant à qui devaient-ils le sursaut et la félicité de leur délivrance ? A leur corps et à cette terre. (p.39, Des prêcheurs d'arrière-mondes)

Regardez-les moi, ces superflus ! Toujours ils sont malades, ils vomissent leur bile et c'est ce qu'ils appellent leur journaux. Ils s'entre-dévorent et ne sont même pas capables de se digérer.
Regardez-les moi donc, ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent des puissances et avant tout le levier de la puissance, ils veulent beaucoup d'argent, ces impuissants !
Regardez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns par-dessus les autres et ainsi s'entrainent dans la boue et l'abîme.
Tous, ils veulent accéder au trône : c'est leur folie - comme si le bonheur était assis sur le trône ! C'est souvent la boue qui est sur le trône - et souvent aussi le trône sur la boue. (p.65, De la nouvelle idole)

On paie mal un maitre en ne restant toujours que l'élève. Et pourquoi ne voulez-vous pas effeuiller ma couronne ?
Vous me vénérez ? Mais qu'arrivera-t-il si votre vénération, un jour, tombe et se renverse ? Méfiez-vous de ne pas vous vous faire écraser par une statue !
Vous dites que vous croyez en Zarathoustra. Mais qu'importe Zarathoustra ? Vous êtes mes croyants : mais qu'importent tous les croyants !
Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m'avez trouvé. C'est ce que font tous les croyants ; c'est pourquoi toute foi compte si peu.
Maintenant, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver ; ce n'est que quand vous m'aurez tous renié, que je veux revenir parmi vous. (p.105, De la vertu qui prodigue)

Mais je veux révéler vos cachettes au grand jour : c'est pourquoi je vous ris à la figure, de tout mon rire venu des hauteurs.
C'est pourquoi je tire sur votre toile, pour que votre rage vous fasse sortir de votre tanière de mensonge et que votre vengeance jaillisse derrière votre mot : « justice ».
Car que l'homme soit délivré de la vengeance : voilà, à mon sens, le pont vers la plus haute espérance et un arc-en-ciel après de longues intempéries. (p.135, Des tarentules)

J'appelle véridique, celui qui s'en va dans les déserts d'où Dieu est absent et qui a brisé son cœur vénérateur.
Dans le sable jaune, brulé par le soleil, il louche, assoiffé, vers les iles aux sources abondantes où des êtres vivants se reposent sous des arbres sombres.
Mais sa soif ne parvient pas le convaincre de devenir comme ces satisfaits par le bien-être : car là où il y a des oasis, il y a aussi des idoles.
Affamé, violent, solitaire, sans-dieu : c'est ainsi que se veut la volonté du lion. (p.141, Des sages illustres)

Et vous dites, mes amis, que l'on ne doit pas discuter des goûts et des couleurs ? Mais toute la vie n'est qu'une querelle sur les goûts et les couleurs.
Le goût : il est en même temps poids et plateau de la balance et il celui qui pèse ; et malheur à tout ce qui est vivant et qui voudrait vivre sans querelle, quant au poids, à la balance et à celui qui pèse ! (p.162, Des hommes sublimes)

Ah ! pensée abyssale, toi qui es ma pensée ! Quand trouverai-je la force de t'entendre creuser et de ne plus trembler ? (p.226, De la félicité malgré soi)

La solitude de l'un est la fuite du malade ; la solitude de l'autre est la fuite devant le malade. (p.245, Sur le mont des oliviers)

Ô mes frères, celui qui est un premier-né est toujours sacrifié. Mais nous sommes tous des premiers-nés. (p.283, Des vieilles et des nouvelles tables)

Quelle aimable chose qu'il existe des mots et des sons : les mots et les sons ne sont-ils pas des arcs-en-ciel et des ponts illusoires entre ce qui est éternellement séparé ?
A chaque âme appartient un autre monde ; pour chaque âme chaque autre âme est un arrière-monde. (p.311, Le convalescent)

Ah ! mes animaux, j'ai appris jusqu'ici seulement que ce qu'il y a de pire en l'homme est nécessaire pour ce qu'il y a en lui de meilleur, que tout ce qu'il y a de pire en lui est sa force la meilleure et la pierre la plus dure pour le créateur le plus haut, et que l'homme doit devenir et meilleur et pire. (p.313, Le convalescent)

Ô mon âme, je t'ai appris à dire « aujourd'hui » comme on dit « jadis » ou « naguère » et je t'ai appris à danser ta ronde par-dessus tout ici, tout là-bas et tout plus loin encore.
Ô mon âme, je t'ai délivrée de tous tes recoins, j'ai balayé la poussière, les araignées et la pénombre qui te recouvraient.
Ô mon âme, je t'ai lavée de ta petite pudeur et de ta petite vertu en coin et je t'ai convaincue de te tenir nue devant les yeux du soleil.
J'ai soufflé sur ta mer houleuse avec la tempête qui a pour nom « esprit » ; j'ai chassé tous les nuages et j'ai même étranglé l’étrangleur nommé pêché. (p.318, Du grand désir)

500 pages, 1883, le livre de poche

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