samedi 14 février 2015
Pandore au Congo - Albert Sánchez Piñol
Une très, très bonne lecture.
Pandore au Congo est le second roman d'Albert Sánchez Piñol publié en France, après La Peau Froide. Et la parenté est évidente : deux ou trois personnes plongées dans un milieu hostile et confrontées à des hordes de créatures humanoïdes assez agressives. Cette fois, on a la jungle du Congo à la place de l'ile isolée, et une civilisation souterraine et non plus aquatique. Et même à nouveau une étrange histoire d'amour et de sexe entre un humain et une femme/femelle de l'autre espèce.
La construction du roman est particulièrement subtile. La moitié du roman se passe à Londres, au début du vingtième siècle, et les aventures au Congo ne sont qu'un récit rapporté, ou plus précisément un roman dans le roman. La narrateur, jusqu'alors nègre produisant des récits populaires à la chaine, s'est vu proposer par un avocat un travail étrange : écrire un roman sur l'aventure de Marcus Garvey au cœur du Congo. L’objectif ? Sauver Marcus de la peine mort, prouver qu'il n'est pas l'assassin des deux Lords qu'il accompagnait dans leur exploration du Congo en quête d'or et de diamants. L'histoire est tellement hors du commun que seul un écrivain peut la rendre crédible. On a donc un double roman. D'un coté, un roman d'aventure à tendance fantastique, on se croirait entre Clark Ashton Smith et Conrad. Il y a bien sur le coté suspense : quelles aventures attendent notre héros ? Quels dangers va-t-il affronter ? L'amour triomphera-t-il de la haine ? Mais les anglais ne sont pas vraiment des héros : ils laissent dans leur sillage une trainée de sang, massacrant et réduisant en esclavage les indigènes qui croisent leur route. Jusqu'à leur rencontre avec les autres, ceux à la peau encore plus blanche qui vivent sous terre. Cette race est l'écho des Anglais. Le premier contact est un missionnaire, qui tente de convertir, viennent ensuite les commerciaux, qui pillent et ne voient que les objets et pas les hommes, et enfin les militaires, qui massacrent et asservissent. Et d'un autre coté, à Londres, on suit le narrateur, jeune écrivain naïf. Le ton est plus varié, parfois très léger, et l'on rigole beaucoup devant un humour savamment distillé, parfois plus sombre, notamment avec un petit passage à travers la première guerre mondiale. C'est un écrivain qui parle, et on a presque l'impression de suivre Albert Sánchez Piñol dans sa lutte pour écrire un bon livre. Il y a certainement une petite dimension autobiographique tant le thème de la création littéraire est exploré.
On serait tenté de voir Pandore au Congo comme une simple réécriture de La Peau Froide en mieux, ou une suite spirituelle plus élaborée. C'est ce que j'ai pensé pendant une partie du roman. Il y avait bien certains aspects qui me semblaient douteux, notamment cette histoire d'amour, et quelques autres détails. Mais non, plus on avance, plus on comprend que dans ce roman rien n'est gratuit. Tout s'emboite parfaitement, tant sur le plan de la narration que des thèmes et des idées. Le lien avec le précédent roman de l'auteur est évident, mais il n'est pas celui que l'on croit au début.
J'ai terminé Pandore au Congo avec un grand sourire, admiratif face à l'habilité d'un auteur qui se joue de son lecteur et se moque de ses attentes. Je crois que ce bouquin m'a autant passionné qu'impressionné.
Pour qui est-ce que tu te prends, Tommy ? Pour un scientifique ? Un philosophe ? Pour l'instant, tu es un écrivain, Tommy, un pauvre petit écrivain.
451 pages, 2005, Babel
Libellés :
Littérature,
Sánchez Piñol Albert,
Univers réaliste
lundi 9 février 2015
Un cœur faible & La douce - Dostoïevski
Vassia, celui qui possède Un cœur faible, est un jeune homme doux et gentil, nouvellement fiancé. Il vit avec son colocataire, qui est aussi son meilleur ami. Pendant la première partie de la nouvelle, Dostoïevski décrit l’enthousiasme des deux amis. Ils sont bons, ils sont heureux, ils s'aiment. Mais Vassia, emporté par ses sentiments envers sa fiancée, a négligé le travail que lui avait confié son supérieur, qu'il vénère. Vassia pourrait simplement se dire que tant pis, il aura du retard, son supérieur comprendra sa situation ... Mais non, Vassia est trop bon, trop simple, et trop persuadé de son peu de valeur. Cet événement prend dans sa tête une importance considérable, et il en deviendra fou. Cela fait penser à Gogol, mais ici pas d'humour, c'est désespérément tragique. Et les dernières lignes sont d'une puissance étonnante pour un si court récit (80 pages). Du grand Dostoïevski en petit format.
La douce est morte, suicidée, et c'est son mari qui, à coté du cadavre de sa douce femme, va nous raconter leur histoire. Pas de folle passion ici. Pas non plus de mari tyrannique et violent. Ce qui tue, c'est l’incompréhension mutuelle. Les deux époux s'affrontent par le silence. Le narrateur explique ses actes, ne cache rien de ses petites vanités, des ses égoïsmes, mais on ne peut pas vraiment lui en vouloir. Il n'est pas pire qu'un autre. Et la douce, prisonnière de son rôle d'épouse et de son statut de femme, n'est pas sans fierté, malgré sa jeunesse. On aurait tellement voulu qu'ils se parlent, qu'ils se découvrent ... Dostoïevski ne nous explique pas comment comprendre son prochain, mais il décrit parfaitement bien l'incompréhension. C'est un début.
Quand je suis un peu dans le vague niveau lectures, Dostoïevski est là pour m'apporter une petite dose de génie littéraire. Merci à lui.
Bref, j'avais fait exprès de retarder le dénouement : ce qui s'était passé suffisait amplement à ma tranquillité et contenait déjà trop de tableaux et de matière pour mes rêveries. Car c'est bien là que c'est moche, que je suis un rêveur : pour moi, j'avais assez de matière, et, quant à elle, je me disais que ça pouvait attendre.
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